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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe
Autoren: E.M. Remarque
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larmes ! Ça aussi.
    –  Je ne voulais pas ! Je vous jure que je ne voulais pas lui faire mal ! C’est un accident, un malheureux accident ! »
    L’estomac de Ravic se contracta. Un accident ! Bientôt il va se mettre à réciter des vers !
    « Je sais. Descendez, maintenant, et attendez l’ambulance. »
    L’homme voulut parler.
    « Allez, répéta Ravic. Et gardez l ’ascenseur. Dieu sait comment nous allons passer avec la civière.
    –  Tu m’aideras, dit Jeanne d’une voix endormie.
    –  Oui, dit-il sans espoir.
    –  Tu es là. Je suis toujours en paix quand tu es près de moi. »
    Le visage maculé sourit. Le clown sourit. La prostituée sourit avec effort.
    « Mon petit, je n’ai pas voulu. »
    L’homme était sur le seuil de la porte.
    « Sortez, dit Ravic. Mais sortez donc ! »
    Jeanne demeura calme un moment. Puis elle ouvrit les yeux.
    « Il est bête, dit-elle d’une voix étonnamment claire. Bien sûr qu’il n’a pas voulu… Le pauvre petit… il voulait seulement m’impressionner. »
    Une expression étrange, presque mutine, passa dans son regard.
    « Moi non plus, je ne croyais pas… Je l’ai taquiné… Je l’ai poussé à bout…
    –  Ne parle pas.
    –  Taquiné. »
    Ses yeux se fermèrent à demi.
    « Tu vois comme je suis, Ravic… C’est ça ma vie… Il ne voulait pas… il… »
    Les yeux se fermèrent complètement. Le sourire s’effaça. Ravic continuait à tendre l’oreille vers la porte.
    « Impossible de faire entrer la civière dans l’ascenseur. C’est trop étroit. Il faudrait la tenir presque debout.
    Y a-t-il moyen par l’escalier ? »
    L’infirmier sortit et revint.
    « Peut-être. En la levant très haut. Il vaudrait mieux attacher la blessée. »
    Jeanne était à moitié endormie. Elle gémissait par instants. Les infirmiers sortirent.
    « Avez-vous une clef ? demanda Ravic à l’homme.
    –  Je… non… pourquoi ?
    –  Pour refermer la porte.
    –  Je crois qu’il y en a une quelque part.
    –  Trouvez-la, et fermez. »
    Les infirmiers étaient arrivés au premier palier.
    « Prenez le revolver avec vous. Vous pourrez vous en débarrasser une fois dehors.
    –  Je… je vais me dénoncer à la police. Est-elle gravement blessée ?
    –  Oui. »
    L’homme se mit à transpirer. La sueur jaillissait de ses pores avec tant de force qu’il semblait n’avoir rien d’autre sous la peau. Il retourna dans l’appartement.
    Ravic suivit les infirmiers qui transportaient la civière. Les lumières du hall s’éteignaient automatiquement toutes les trois minutes. À chaque palier, un bouton permettait de les rallumer. À chaque étage, la première moitié de l’escalier était, franchie avec assez de facilité, mais les tournants étaient difficiles. Il fallait soulever la civière au-, dessus des têtes, et la passer par-dessus la rampe. Les ombres dansaient sur les murs. « Où donc ai-je vu cela ? » se demandait Ravic, qui sentait des souvenirs se préciser peu à peu. Puis il se rappela. C’était avec Raczinsky, tout à fait au début.
    Tandis que les infirmiers échangeaient des ordres de marche, et que la civière éraflait les murs, aux différents paliers les portes s’ouvraient. Des visages curieux apparaissaient dans les entrebâillements, des pyjamas, des cheveux en désordre, des faces bouffies de sommeil, des chemises de nuit violettes, vertes, ou ornées de grandes fleurs tropicales…
    La lumière s’éteignit une fois encore. Les infirmiers grommelèrent et s’arrêtèrent dans l’obscurité.
    « Lumière ! »
    À tâtons, Ravic chercha le commutateur. Il toucha le sein d’une femme, respira une haleine fétide, et sentit quelque chose frôler sa jambe. La lumière se ralluma. Une femme aux cheveux jaunes le regardait. Son visage, luisant de crème, semblait fait de couches de graisse superposées. Elle retenait dans sa main un peignoir de crêpe de Chine orné d’innombrables ruches. Il crut voir un énorme bouledogue sur un lit de dentelle.
    « Morte ? demanda-t-elle les yeux brillants.
    –  Non. »
    Ravic poursuivit son chemin. Un hurlement jaillit, suivi d’un crachement. Un chat se sauva en courant.
    « Fifi ! »
    La femme se pencha, ses genoux potelés largement écartés.
    « Mon Dieu, Fifi, est-ce qu’il t’a marché dessus ? »
    Ravic descendit l’escalier. Il voyait osciller la civière. Il vit la tête de Jeanne qui se balançait à chaque mouvement. Il
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