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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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des roues et des sabots. Un type qui
portait un matelas sur le dos s’en prit à La Grange qu’il traita de nanti ;
les plaintes se changeaient en injures contre les moins malheureux. Une
paysanne posa son garçonnet sur le marchepied du cabriolet et s’accrocha à la
portière :
    — Les cosaques sont à Bondy ! et vous savez pas
c’que c’est, les cosaques !
    — On est allés s’cacher dans les bois !
    — On n’a qu’nos chemises !
    — Ils vont entrer à Paris la torche à la main !
reprenait un grand flandrin.
    — Ça s’ra comme à Moscou !
    — Vont se venger !
    Peu avant le temple de la Madeleine inachevé, un maquignon
en blouse bleue grimpa sur l’un des chevaux du cabriolet, le cocher leva son
fouet pour frapper l’insolent mais un géant lui montra sa fourche. Le cocher se
retourna pour demander un avis, sinon un ordre, à ses passagers : ils
avaient disparu, la voiture se remplissait de ballots et de mioches harassés.
Le marquis et Octave s’étaient esquivés rue Basse-du-Rempart, en contrebas, sur
le côté nord du boulevard.
    — Tout cela sentait fort l’étable, dit le marquis en
respirant à pleines narines un petit flacon d’eau de Cologne, et il indiqua un
hôtel particulier de trois étages à l’angle de la rue de la Concorde, volets
clos, qui paraissait déserté, mais le marquis entrouvrit le portail, ils se
faufilèrent à l’intérieur. Sous la voûte, un grand char de fourrage ; dans
les escaliers de pierre, des portefaix montaient des sacs de farine et de riz.
Les provisions s’amoncelaient au palier, dans les corridors ; il y avait
de quoi subir plusieurs semaines de siège. Le salon du premier était plongé
dans une demi-pénombre. À la lumière tremblée des chandeliers, en silhouettes,
des messieurs graves, des dames affolées caquetaient, agités comme des
moineaux, sous des jambons accrochés au plafond par des cordes tendues.
    — L’Europe nous apporte les calamités que nous lui
avons fait subir, affirmait un vicomte au nez pointu.
    — Nous y avons tout de même des amis.
    — C’est vrai, Rochechouart appartient à l’état-major du
tsar.
    — Et Langeron, donc !
    — Ils n’ont pas empêché leurs cosaques d’étriper des
braves gens qui refusaient de leur servir du hareng cru.
    — Du hareng cru ? Quelle horreur !
    — L’impératrice nous protégera de ces sauvages !
    Chacun pensait que la présence de Marie-Louise, épouse
négociée de Napoléon mais fille de l’empereur d’Autriche, suffirait à retenir
les armées alliées si par malheur elles s’emparaient de la capitale. Le marquis
de La Grange coupa ces illusions d’une voix ferme :
    — Hélas, madame la comtesse, l’impératrice vient de
quitter Paris.
    — Allez en avertir mon mari !
    — Le comte de Sémallé est revenu ?
     
    Le comte de Sémallé était en effet revenu d’une mission
périlleuse qui l’avait conduit, par des chemins de traverse, avec un
laissez-passer autrichien, jusqu’à une hôtellerie de Vesoul où il avait
rencontré Monsieur, comte d’Artois et frère turbulent de Louis XVIII.
Celui-ci lui avait confié des proclamations royalistes imprimées à Bâle et un
pouvoir ainsi rédigé de sa main : Ceux qui verront le présent billet
peuvent et doivent prendre une entière confiance dans tout ce que Monsieur de
Sémallé leur dira de ma part.
    C’était un homme aux épaules tombantes, avec une grosse
tête, des cheveux clairs et plats partagés au milieu du crâne par une raie. Il
était en robe de chambre, mais une cravate tortillée au cou, comme s’il
s’apprêtait à enfiler dans l’instant une redingote pour s’évanouir au moindre
danger. Par prudence, il n’habitait pas son hôtel proche des boulevards, où
résidait sa femme, mais son ancienne maison, plus modeste, au numéro 55 de
la rue de Lille. Il buvait du chocolat en écrivant lorsqu’un valet introduisit
La Grange et Octave dans son bureau :
    — L’impératrice Marie-Louise est partie avec son fils,
Cambacérès, une partie du gouvernement.
    — Cela ne change rien, La Grange. La masse des armées
étrangères fonce désormais sur Paris. Buonaparte est loin à l’est, les maigres
troupes de Mortier et de Marmont touchent aux barrières mais à jeun, sans
paille, sans bois. Elles ne résisteront pas à cette formidable poussée.
    — Et si les Parisiens se soulèvent ? demanda
Octave.
    — Qui êtes-vous ? dit Sémallé qui n’avait
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