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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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visage mou.
    — Comment va-t-il ? demande Octave.
    — Il dort, Monsieur, mais il a une bonne respiration.
    Octave prend la lanterne des mains de la vieille. À
l’arrière de la maisonnette, dans une pièce calfeutrée, un homme blond, chemise
ouverte, ronfle sur un matelas. La vieille remet des bûchettes dans le poêle.
    — Réveillons-le, Jeanne, je t’en débarrasse.
    — Pourra s’tenir debout, Monsieur Octave ?
    — Je l’aiderai. Dégotte-lui un manteau ou une cape.
    Octave secoue l’épaule du dormeur. En sursaut, celui-ci
ouvre les yeux et marmonne d’une voix pâteuse :
    — Ah… C’est vous…
    Il se redresse sur les coudes, et, après un moment :
    — L’autre soir…
    — Oui ?
    — Vous ne m’avez pas dit…
    — Quoi ?
    — Si vous aviez vu mon agresseur…
    — Non, hélas, à part son dos. Je suis arrivé quand il vous
assaillait par-derrière. Il a déguerpi tandis que je ramassais votre bagage.
    — J’avais l’air à ce point riche pour qu’on veuille me
dévaliser ?
    — Vous avez certainement trop bavardé avec vos voisins
de tablée. En France, monsieur de Blacé, il y a des policiers ou des filous
dans le moindre coin. En sortant de cette maudite auberge, vous deveniez une
proie.
    — Je ne me suis pas méfié…
    — Vous avez évoqué Londres ?
    — Je ne sais plus.
    — Sans doute. Et vous avez attiré l’attention en payant
le limonadier avec vos pièces d’or. Cela suffit.
    La vieille Jeanne apporte un manteau gris taillé comme ceux
de la Garde, avec trois chevrons de laine rouge à la manche.
    — Endossez-le, monsieur de Blacé, dit Octave.
    — Où allons-nous ?
    — Chez ces royalistes dont vous m’avez parlé
avant-hier.
    — On m’a donné leur adresse à Londres…
    — Vous ne connaissez vraiment personne, à Paris ?
    — Personne. Vous me l’avez déjà demandé.
    — Pas de parents, même lointains ?
    — Aucun.
    — Votre famille ?
    — Mon père, j’ai vu sa tête au bout d’une pique…
    — Je sais, vous me l’aviez raconté.
    — Ma mère est morte de tuberculose dans le West End.
    — Vous n’avez donc que moi ?
    — Pour l’heure.
    Blacé met le manteau, se frotte la nuque, soudain il
réalise :
    — Où sont mes vêtements, ma perruque ?
    — Chez vos amis royalistes, qui vous attendent.
    — Ma lettre de recommandation ?
    — Ils l’ont.
    — Mon argent ? L’argent que je voulais remettre à
leur Comité ?
    — En sûreté.
    — Dans cette maison, il n’était pas en sûreté ?
    — Vous vous méfiez de moi ?
    — Pas du tout, mais je ne sais même pas qui vous êtes.
    — Votre sauveur.
    Ils sortent. Blacé est encore faible, son assaillant a
frappé fort. Octave le soutient. Ils empruntent l’allée, éclairés par la lune,
tout en causant.
    — Passerons-nous près des Tuileries ?
    — C’est notre chemin, répond Octave.
    — J’y ai mes derniers souvenirs parisiens…
    — Comment ça ?
    — J’avais huit ans. C’était en août, la populace
attaquait les Tuileries, le roi et sa famille se dérobaient par les jardins. Ma
mère et les dames de la Cour, avec les enfants, s’étaient cachées dans une
pièce close, à la bougie. Je me souviens d’une clameur, de cris, des vitres
brisées au canon. Pourquoi avons-nous été épargnés ? J’ai oublié. Je
revois des bâtiments enflammés, des gardes suisses massacrés, sous les massifs
de fleurs, dans un nuage de mouches. Les émeutiers éventraient des édredons et
les secouaient par les fenêtres comme de la neige… Qu’est-ce qu’on
entend ?
    — Les tambours de la garde nationale. Nos amis russes
ne doivent pas être loin. Venez par ici, évitons le centre de la ville.
    Ils longeaient le quai du Mail, herbeux, en pente vers la
Seine. Dans l’obscurité, Octave guidait le chevalier qu’il tenait ferme par le
bras.
    — Où allons-nous maintenant ? s’inquiétait Blacé.
    — Vous m’avez appris ce que je voulais savoir. En
remerciement, il faut que je vous montre quelque chose. Que voyez-vous, au bas
de la berge ?
    — Sans lanterne ?
    — Sans lanterne.
    — Rien du tout.
    — Mais si. Penchez-vous.
    Intrigué, le chevalier obéit. Octave prit sa canne à deux
mains et lui brisa la nuque. Le vrai Blacé s’effondra contre le talus, le nez
dans la terre. Du talon de sa botte, Octave roula le corps jusqu’à l’eau. Avec
sa canne il le poussa encore. Le cadavre flottait, emporté par le
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