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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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pas
encore prêté attention au compagnon du marquis.
    — Le chevalier de Blacé, répondit La Grange. Mercredi,
il habitait encore sa maison de Baker Street. La comtesse de Salisbury nous le
recommande.
    — Bien. (à Octave :) Par quel chemin
êtes-vous arrivé ?
    — Par Bruxelles, monsieur le comte.
    — Il a un passeport belge, ajouta le marquis, et un
statut de négociant en dentelles.
    — Que dit-on à Londres ?
    — Les Anglais penchent pour les Bourbons, monsieur le
comte.
    — Je sais, chevalier, mais le tsar louche vers le roi
de Suède, les Autrichiens vers le roi de Rome. À Dijon, nous avons échoué à
provoquer un mouvement en notre faveur. La semaine dernière, le prince de
Hesse-Homburg qui commande la place a fait arrêter nos partisans parce qu’ils
arboraient des cocardes blanches : il y voyait une sédition. À Bordeaux,
Wellington boude le duc d’Angoulême qui l’a rejoint à Saint-Jean-de-Luz… De
toute façon, le roi ne doit pas être imposé par les alliés mais choisi par les
Français.
    — Facile à dire, bougonnait La Grange, déçu par les
affirmations du comte.
    — Tout le monde a oublié les Bourbons, continuait
Sémallé. À quoi ressemblent-ils ? Où sont-ils ? La population n’en
sait rien après leurs vingt années d’exil, mais moi, moi je sais une chose et
une seule : Il faut créer un mouvement populaire en deux jours.
    —  Avec qui ? Avec quoi ?
    — Nous devons simuler un vaste mouvement royaliste.
    — Simuler ? s’étonnait Octave.
    — Il s’agit de persuader les alliés de soutenir la
monarchie légitime, et que le peuple entier la réclame. La Grange, réunissez
notre Comité pour demain. À ce moment, nous y verrons plus clair.
    Depuis décembre, à la demande d’un Louis XVIII réfugié
à Hartwell, Sémallé avait mis sur pied un Comité royaliste d’une quarantaine de
personnes. Éconduit par les aristocrates qui se méfiaient des mouchards, il
avait recruté ses partisans chez des officiers, des fonctionnaires, des
bourgeois convaincus, des commerçants épris de paix. Ils se rencontraient rue
de l’Échiquier, dans le pavillon d’un certain Lemercier, ancien banquier qui se
piquait de belles-lettres. Ils y parlaient beaucoup, ils agissaient peu, ils se
contentaient d’entasser des cocardes blanches dans de multiples cachettes.
    En reconduisant Octave, Sémallé l’examinait :
    — J’ai connu un Blacé aux Tuileries, lorsque
j’appartenais aux pages du roi Louis XVI.
    — Mon père.
    — Vous ne lui ressemblez pas.
    — On me l’a déjà dit, monsieur le comte.
    — Qu’est-il devenu, votre père ?
    — La dernière image que j’ai de lui, c’est sa tête au
bout d’une pique.
     
    Prétextant un excès de fatigue, après son voyage
d’Angleterre à Paris, Octave déclina l’invitation d’un dîner au Palais-Royal,
dont quelques établissements gardaient les arrière-salles ouvertes pour leurs
habitués. La Grange n’insista pas, il le raccompagna chez lui et prit aussitôt
congé. Octave s’empressa de mettre le verrou dès qu’il entendit le marquis
descendre l’escalier ; il se posta à la fenêtre, le regarda s’éloigner.
Personne d’autre dans la rue mais des doutes subsistaient. Le marquis était
trop aimable, trop confiant : une lettre de recommandation avait suffi, et
quelques balivernes sur la vie des émigrés à Londres. Peut-être le laissait-on
aussi facilement à lui-même pour mieux le surveiller ? S’il ressortait,
est-ce que l’un ou l’autre des membres du fameux Comité en profiterait pour le
filer ?
    Octave jeta sa perruque sur la table et changea de
costume ; il tira de sa malle une cravate noire et une longue redingote
bleue qu’il boutonna croisée sur la poitrine ; il enfonça sur ses cheveux
ras un haut chapeau à forme évasée. Ensuite, une canne épaisse comme un gourdin
sous le bras, il ouvrit à clef la grande armoire : dans le fond du meuble,
par une porte dissimulée, il dégringola un escalier en colimaçon qui
communiquait avec le magasin d’antiquités du 14, rue Saint-Sauveur. Cet hôtel
abritait avant la Révolution une maison de rendez-vous, tenue par la femme d’un
débitant de tabac, et cette sortie secrète, par la chambre qu’on nommait alors le
vestiaire , permettait aux marquises et aux notables en goguette d’éviter la
porte principale et de s’en aller travestis en grisettes ou en respectables
curés.
    Octave marchait d’une allure
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