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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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courant plus
vif de ce bras du fleuve, entre l’île Saint-Louis et l’île Louvier. Quand le
corps disparut dans la nuit, Octave rentra se coucher.
     
    Les tambours avaient battu la générale toute la nuit et dans
tous les quartiers. Dès le jour, on entendait le canon et des fusillades
nourries, derrière les collines de Belleville, de Montmartre et de la butte
Chaumont qu’on apercevait des étages de l’hôtel Sémallé. Le ciel avait une
sombre couleur de plomb. Très nerveuse, en corset, la jeune comtesse de Sémallé
quitta sa fenêtre et laissa la femme de chambre lui boucler une curieuse
ceinture autour de la taille. Le comte se glissa à ce moment dans la chambre.
La comtesse l’aperçut dans le miroir de la cheminée et poussa un petit
cri :
    — Jean-René, vous vous exposez en venant ici !
    — C’est chez moi.
    — La police surveille l’hôtel, vous le savez, ils vous
auront reconnu, ils vont vous arrêter !
    — N’ayez crainte, ma chère Zoé, ces messieurs sont trop
occupés par les événements et leurs maîtres ne savent déjà plus qui servir. Le
canon a ses charmes, voyez-vous, mais dites-moi, à quoi bon cette ceinture
rembourrée qui vous grossit ?
    — Mes diamants, je préfère les porter sur moi si nous
devons fuir. (Elle désigna la femme de chambre :) Louise porte une
ceinture du même modèle avec mes bijoux et mes perles.
    — Les alliés sont nos alliés.
    — Et ces cosaques hirsutes qui meurent d’envie de nous
piller ?
    — Dès que je serai sorti, nos valets pousseront contre
le portail le char de fourrage que j’ai commandé hier.
    — Il arrêtera les barbares ?
    — Les pillards, Zoé, je le sais d’expérience,
abandonnent au premier obstacle et s’en vont piller plus loin. À Paris, ils ont
le choix.
    — Où serez-vous ?
    Le comte baisa la main que lui tendait la comtesse.
    — Nous allons observer la situation de près avant d’agir.
    — Soyez prudent !
    — Ne tremblez pas d’inquiétude, nous allons enfin
l’emporter sur les suppôts de l’Empire.
    — Dieu vous aide ! dit la comtesse en se signant.
    — Dieu et le mandat de Monsieur le comte d’Artois.
    Sémallé tourna les talons, remit son grand chapeau noir et
récupéra son ami La Grange dans la cour de l’hôtel. Ils tirèrent deux chevaux
de l’écurie, et, ainsi montés, s’en allèrent au pas boulevard de la Madeleine,
au milieu d’une foule anxieuse et mélangée, sous les tilleuls. À la barrière du
faubourg Montmartre, les Parisiens préparaient la défense, pauvre défense, des
chevaux de frise déroulés pendant la nuit sur les routes et les chemins
d’accès, pas de fortifications, un mur d’octroi en fragments, des palissades
derrière lesquelles se massaient indistinctement des élèves de Polytechnique
aux habits neufs, des ouvriers en blouse armés de bâtons et de couteaux à
découper, un canon sans artilleurs. Les gardes nationaux déboulaient en
renfort, ils avaient planté des pains et des brioches joufflues à leurs
baïonnettes, beaucoup portaient des piques aux flammes tricolores à défaut de
fusils. Ils étaient vêtus d’éléments d’uniforme, baudriers blanchis à la craie
sur leurs redingotes, guêtres jaunes pour ce notaire, pantalon serré à la
cheville par une ficelle pour cet épicier. Voici les artisans, les
propriétaires, les boutiquiers ruinés par la guerre incessante qu’on avait
enrôlés pour défendre la ville. Ils mesuraient mal le danger et mélangeaient
des rumeurs aux vérités quand Sémallé les questionnait :
    — Ils ont attaqué dans le bois de Romainville.
    — Ce n’est qu’une colonne ennemie.
    — Tu parles, c’est toutes leurs armées, oui !
    — Le roi de Prusse est prisonnier, je le tiens d’un
sergent qui revient de Belleville, on va le montrer sur les boulevards.
    Les canons ne se taisaient pas. Des hommes à cheval
circulaient entre les groupes, ils distribuaient des proclamations qu’ils
portaient en paquets sur leurs selles. La Grange en accepta une, il la tendit
au comte. Sémallé chaussa ses lunettes et lut à voix haute :
     
    Nous laisserons-nous piller !
    Nous laisserons-nous brûler !
    tandis que l’Empereur arrive sur les
    derrières de l’ennemi…
     
    L’appel qualifiait l’assaut massif des alliés de coup de
main, mais il demandait qu’on élève des barricades, qu’on creuse des fossés,
qu’on arrange des créneaux dans les murailles, qu’on monte dans les maisons
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