Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
des
pavés en guise de projectiles, qu’on bouche les rues en renversant des
véhicules.
    — Un peu tard, sourit le comte.
    — Enfantillages.
    — Qui nous dira la réalité, La Grange ?
    — À Paris, je ne connais qu’un endroit, monsieur le
comte, où l’on est au courant de tout.
    — Vous avez raison, allons rue Saint-Florentin.
    C’était chez Talleyrand.
     
    À l’étage noble de l’hôtel Saint-Florentin, dont les croisées
s’ouvraient sur la rue de Rivoli en construction, M. de Talleyrand
était à sa toilette selon un rituel qu’aucun drame ne modifia jamais. Comme à
son habitude il avait joué une large partie de la nuit au whist, avant de
s’endormir presque assis, avec quatorze bonnets de coton car il avait peur de
tomber sur la tête. Quand la pendule sonna onze heures trente, il buvait sa
camomille devant la cheminée de marbre de sa chambre, entouré d’un corps de
ballet en tabliers gris, ses valets qui le pommadaient en bourdonnant,
frisaient, peignaient et poudraient sa perruque, lui présentaient la cuvette
d’argent où il trempa les doigts pour se débarbouiller comme un chat, puis il
aspira par les narines plusieurs verres d’une eau tiède. Il avait soixante ans,
un nez retroussé, des joues flasques, une peau terreuse et des yeux
morts ; sa bouche seule exprimait tantôt l’ironie, tantôt le mépris. Sur
les flanelles et les molletons en loques qui l’emmaillotaient, un valet lui
enfila une chemise tandis qu’un autre, à genoux, ajouta des bas de soie sur les
bas de laine qui cachaient ses jambes atrophiées.
    Ses créatures assistaient au spectacle.
    Membre du Conseil de régence, ci-devant évêque d’Autun,
prince de Bénévent et de l’intrigue, Talleyrand s’entourait d’une coterie
d’abbés défroqués qui haïssaient l’Empereur et l’avouaient. Il y avait là
M. de Pradt, ambassadeur répudié, qui diffusait le Times et le Morning Chronicle que lui faisait parvenir une dame de Bruxelles, le
nonchalant Montesquiou, Jaucourt, chambellan de Joseph Bonaparte, très informé
sur le mouvement des troupes, le baron Louis, désormais banquier, qui servit la
messe de la Fédération à l’époque de la Révolution, d’autres et du même acabit.
    Grâce à une soudaine impunité, que lui conférait la
proximité des canons ennemis, Sémallé s’était enhardi. Il avait confié ses
chevaux à La Grange, resté dans la cour, et il avait osé pénétrer sans crainte
dans ce repaire de conspirateurs. Il s’approcha de Jaucourt, qu’il fréquentait,
et lui chuchota à l’oreille pour ne pas troubler le cérémonial :
    — Quelles sont les dispositions de Monseigneur,
aujourd’hui ?
    Monseigneur Talleyrand s’était levé, deux valets lui
remontaient jusqu’au ventre sa culotte de soie noire. Jaucourt murmura comme un
ventriloque sans regarder le comte :
    — Cela dépendra de la bataille qui se mène devant
Paris.
    — Mais vous qui savez ?
    — Les grenadiers russes sont à Pantin, les Prussiens
occupent le plateau de Romainville, les Autrichiens attaquent Bagnolet après
avoir pris Montreuil. Saint-Maur et Bondy viennent de tomber…
    — Qu’a décidé Monseigneur ?
    — Il respecte les faits, alors, attendons que les faits
lui parlent.
    — Prévoit-il un retour des Bourbons ?
    — Son oncle, l’ancien archevêque de Reims, est devenu
le grand aumônier du roi Louis XVIII, vous le savez, et ils correspondent…
    Sémallé se méfiait par principe, et sa conversation susurrée
avec Jaucourt se poursuivait :
    — Tout de même, dit-il, il a publiquement demandé à
l’impératrice de rester à Paris.
    — Sans doute, mais l’impératrice le déteste. S’il lui
demande quoi que ce soit, elle fait le contraire.
    — Un calcul ?
    — Cela vous étonne ?
    Le comte voyait Talleyrand en régicide, et il lui en voulait
autant que les émigrés lorsque celui-ci fuyait comme eux la Terreur, à
Kensington Square : l’homme méritait la roue. Il lui attribuait un rôle
déterminant dans l’enlèvement à Ettenheim du duc d’Enghien, il lui reprochait
son exécution dans les fossés de Vincennes, parce qu’il fallait pour consolider
le Consulat donner un gage aux Jacobins en tuant un Bourbon. Bien sûr, et cela
se répétait chez les royalistes, c’est lui qui avait incité les alliés,
hésitants, par une missive codée, à foncer sur Paris. Bref, il ne s’agissait
pas d’avoir confiance mais d’utiliser le personnage, si
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher