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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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Des yeux gris
clair, le nez pincé, une bouche sans lèvres, son visage neutre se prêtait aux
changements et il en souriait. « Je peux tenir tous les rôles »,
pensait-il, satisfait, quand on cogna à sa porte en l’appelant. Il poussa le
loquet et ouvrit au marquis de La Grange, ancien chef vendéen, compromis dans
plusieurs conspirations manquées, qui intriguait à Paris en méprisant la police
impériale. Grand, sec, plutôt sévère, en redingote de drap bleu à collet
d’astrakan, il entrait pour la première fois dans l’appartement qu’Octave
occupait au premier étage de l’hôtel de Salerne, rue Saint-Sauveur : une
pièce longue et peu meublée, un bougeoir sur la table de sapin, un lit, une
armoire colossale ; le velours des fauteuils était aussi défraîchi que
celui du baldaquin ; il fallait se débrouiller sans valet, sans servante,
avec les bûches empilées à côté de la cheminée.
    — Mon cher, dit le marquis, votre logement est bien
sommaire…
    — Mais provisoire et discret.
    — Je vous l’accorde, et puis je ne viens pas vous
inspecter mais vous prévenir.
    — On m’aurait identifié ?
    — Non non, rassurez-vous, les argousins de la Préfecture
sont trop bêtes. Je voulais vous annoncer que nous avons sans doute accompli
une révolution complète.
    — Une révolution…
    — Entendez-le à la façon des astronomes : retour
d’un astre au point initial de son orbite.
    — C’est-à-dire ?
    — C’est-à-dire que nous allons revenir à notre point de
départ : la monarchie.
    — Je ne vous comprends pas mieux.
    — Eh bien je vous emmène, vous allez saisir.
    Le marquis décrocha le tricorne d’Octave d’une patère, lui
lança son manteau dans les bras, remit son chapeau de feutre noir à large bord
et l’entraîna dans l’escalier. Devant l’entrée principale, rue des Deux-Portes,
un cabriolet de louage les attendait, un gros numéro peint sur la portière. Le
cocher ne demanda rien, la course était prévue qui les conduisit au Louvre dans
un grand fracas de roues, de grelots, de sabots et de jurons à décourager la
conversation. Ce lundi 29 mars le temps était clair, enfin, après des
semaines d’une pluie fine et glaciale. Le marquis prit le bras d’Octave et ils
passèrent sous la voûte du guichet. De l’autre côté, des badauds restaient
debout et muets, peut-être une centaine, devant la grille qui coupait
l’esplanade de part et d’autre d’un arc de triomphe aux colonnes de marbre
rose.
    Ils regardaient.
    Le palais des Tuileries fermait les deux ailes du Louvre,
qu’il séparait des jardins. C’était un bâtiment triste, austère, trapu ;
chaque hiver, la fumée noire des cheminées parisiennes encrassait davantage les
façades sans charme. Ce matin, un remue-ménage remplaçait les ordinaires parades
du Carrousel. Il y avait bien de nombreux cavaliers en capes grises, mais à
l’arrêt, impatients, guettant un ordre.
    Comme Octave et La Grange se mêlaient à la petite foule des
curieux, un bonhomme à favoris grisonnants, vêtu en bourgeois, les aborda pour
expliquer à mi-voix :
    — Monsieur le marquis, les portes-fenêtres du
rez-de-chaussée, contre le pavillon de Flore, ont été éclairées avant le jour…
    — Et où en sommes-nous, mon bon Michaud ?
    — Le déménagement se précise et s’accélère, vous pouvez
le constater.
    Dans les appartements de l’impératrice Marie-Louise, des
valets en livrée verte emballaient des lustres, d’autres portaient des caisses
numérotées, des pendules, des tables, passaient des chaises dorées à des hommes
en blouse : ils les chargeaient dans ces fourgons et ces chariots qui
encombraient la cour. Lanciers et grenadiers de la Garde encadraient plus loin
les douze berlines attelées dès le matin, et la voiture du sacre couverte de
toiles. Le marquis se réjouissait :
    — Ils emportent l’argenterie, la vaisselle, comme des
voleurs.
    — Mais ce sont des voleurs, monsieur le marquis.
    La Grange se tourna vers Octave :
    — Michaud est imprimeur, il joue un rôle actif dans
notre Comité.
    — Très bien, répondit Octave, mais si l’impératrice
quitte Paris, cela présage-t-il la fin de l’Empire ?
    — Mais oui, mon cher, mais oui, parce que le
gouvernement va se détricoter, (à Michaud :) Le chevalier de Blacé
arrive de Londres, il a suivi nos affaires de loin.
    — Ah ! fit l’imprimeur avec déférence.
    — Ça y est, ils s’en vont,
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