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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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marmonnait à côté d’eux un
rouquin au gilet rapiécé.
    Là-bas, un homme long et voûté, le teint jaune, en habit
brodé d’un autre siècle, descendait le perron des Tuileries entouré par ses
confidents, l’un en costume noir de deuil perpétuel, l’autre suant, roulant des
yeux perdus. Ils grimpèrent dans la première berline, suivis par une jeune
femme aux joues creuses et aux grosses lèvres, puis par un enfant blond qui se
débattait dans les bras d’un écuyer, se cramponnait à la rampe de fer ouvragé,
s’égosillait. Le marquis se pencha et commenta pour l’envoyé de Londres :
    — L’empanaché, le perroquet, c’est l’archichancelier
Cambacérès, le deuxième personnage du régime. La jeune femme égarée, en
capuche, l’impératrice Marie-Louise…
    — Et l’enfant, le roi de Rome, dit Octave.
    Le cortège roulait maintenant sous le guichet du Pont-Royal,
à faible allure, les berlines armoriées d’abord, ensuite les voitures de
bagages, les fourgons, entourés par des cavaliers. Les badauds se dispersaient,
la mine inquiète ; quelques-uns, dont Octave et le marquis, s’avancèrent
jusqu’au quai pour voir filer vers Rambouillet ce qui restait de la Cour
impériale. Sur les eaux sales de la Seine, au-delà des hangars affreux des
lavandières posés sur des pontons, on voyait passer les péniches remplies de
soldats blessés.
    — C’en est fini de l’usurpateur, dit le marquis. Vous
ne me semblez pas convaincu ?
    — Où est-il ?
    — Buonaparte se défait, mon cher. Allons donc ! Il
ramasse une armée réduite et épuisée entre la Marne et la Seine ; après trois
coups d’éclat sans lendemain, il hésite, il s’égare, conduit dans une Champagne
dévastée des gamins qui ne savent pas charger un fusil, mal entourés par des
vétérans barbus comme des chèvres ! Ils ont perdu, vous dis-je !
    — Mais nous n’avons pas encore gagné.
    — Voyons ! Courons informer nos amis de la fuite
de l’impératrice, nous aviserons après de la marche à suivre.
    — Guidez-moi, j’ai oublié Paris.
    — Vous verrez, c’est plus crasseux que Londres.
    — J’ai déjà vu : regardez mes bottes.
     
    Si La Grange était enchanté d’une situation qui, croyait-il,
servait les plans des royalistes, la population presque entière redoutait
l’invasion. Le bruit du canon, qu’apportait le vent du nord, semblait se
rapprocher d’heure en heure. Blessés et mendiants erraient en bandes dans
Paris. Des rumeurs contradictoires circulaient. Un journal livrait le nom de
généraux russes tués au combat, un autre appelait à résister pour protéger la
capitale : « Munissez-vous d’arsenic, empoisonnez les fontaines et
les puits, égorgez les Prussiens dans leurs lits avec vos
coutelas ! » Au Pont-Neuf, au Palais-Royal, des charlatans soudoyés
par la police essayaient de mobiliser en effrayant, comme ce vieillard à la
voix rauque, debout sur un escabeau : « J’étais à Reims, j’ai vu les
cosaques, ils déshonorent les femmes sur le cadavre de leurs maris, ils
saoulent les filles et les enfants avant de les griller dans leurs feux de
bivouac, où ils jettent des cartouches qui explosent ! » Les
théâtres, les boutiques fermaient, maçons et menuisiers se hâtaient dans les
rues pour aménager des caches dans les maisons bourgeoises ; les bijoux et
l’or seraient à l’abri. Il y avait des attroupements devant la proclamation que
Joseph Bonaparte, en charge de Paris, faisait placarder sur les murs :
« L’Empereur, y lisait-on, marche à notre secours ! » Un
sceptique improvisa une chanson :
     
    Le roi Joseph pâle et blême
    Pour nous sauver reste avec nous.
    Croyez, s’il ne nous sauve tous
    Qu’il se sauvera bien lui-même…
     
    Pour mesurer la gravité du moment, il fallait monter
jusqu’aux boulevards. Poussés par l’avance des alliés qui ravageaient la
campagne, des milliers de paysans refluaient sur la capitale. Le cabriolet du
marquis et d’Octave allait au ralenti dans une bousculade de charrettes
surchargées de chaudrons, de meubles, de couvertures ; des gaillards en
sabots garnis de paille menaient leurs troupeaux de vaches et de moutons parmi
ce chaos. Des femmes en pleurs et des enfants se tassaient dans un char à banc.
Les plus chanceux montaient des ânes, la majorité allait à pied, tous se
lamentaient d’avoir perdu leur maison et leur champ. Mugissements, bêlements,
cris, sanglots augmentaient le vacarme
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