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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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influent au Sénat.
    Talleyrand s’avança vers ses fidèles, ses jambes torses
patinaient sur le parquet ciré, sa chemise flottait sur la culotte.
    — Mon carrosse ? Mes bagages ?
    — Ils vous attendent, Monseigneur.
    Dans l’assistance, quelques-uns souriaient d’une mine
complice, les autres, interdits, se regardaient sans broncher. Talleyrand
allait-il retrouver la Cour impériale et le gouvernement installés à
Blois ? S’il quittait Paris au début de la bataille, pesait-il les chances
d’un retour de l’Empereur ? Avait-il à ce sujet des informations
personnelles ? Ne croyait-il plus à une restauration de la
monarchie ? À quoi jouait-il ? Sémallé profita d’un mouvement des
courtisans autour de leur maître pour se retirer. En deux mots, il résuma la
situation à La Grange, qui tenait leurs chevaux par la bride.
    — Ce fourbe est-il réellement décidé à partir ?
demandait le marquis.
    — Et ça, dit Sémallé, ce n’est pas un signe ?
    Un carrosse était attelé à quatre chevaux blancs, devant le
perron ; les laquais empilaient des malles dans le fourgon qui le suivrait.
    — Ces valets ne sont pourtant pas des colosses, reprit
La Grange.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Voyez par vous-même.
    Un valet, mince comme un fil, portait seul une grosse malle
par les poignées et la leva à bout de bras pour la poser sans effort dans le
fourgon.
    — Que signifie… marmonna Sémallé en fronçant le
sourcil.
    — Je flaire le stratagème.
    La Grange avisa un garnement en livrée qui portait à
l’épaule un coffre de voyage. Il s’en approcha mine de rien, et, feignant la
distraction, il heurta le garçon qui laissa tomber son coffre.
    — Maladroit ! dit le marquis.
    — Mais c’est vous, Monsieur…
    — C’est moi qui ai fait tomber ce coffre ?
Assez !
    La Grange, furieux, se baissa et ramassa lui-même le coffre
qu’il souleva d’une seule main tellement il était léger.
    — Monsieur…
    — Tais-toi, galopin, ou je demande qu’on te jette à la
rue pour avoir esquinté le bagage de M. le prince de Bénévent…
    — Oh non…
    — Alors, tais-toi !
    Le marquis pressa la serrure, entrouvrit le coffre et y jeta
un œil, puis il revint auprès de Sémallé et des chevaux :
    — Les bagages sont vides.
     
    Pendant les guerres comme pendant les révolutions, quand
tout est fermé en ville, des cafés restent ouverts ; les nonchalants et
les bravaches s’y pavanent en terrasse pour échanger leurs points de vue sur la
marche du monde. Cet après-midi, une poignée d’auteurs et de comédiens
désœuvrés se saoulaient de paroles et de punch au café des Variétés, boulevard
Montmartre. L’établissement s’adossait au nouveau passage des Panoramas et à la
rotonde du même nom, à deux pas de leur théâtre à façade de temple grec.
Coiffés à l’antique, prêts à interpréter une tragédie de Racine expurgée par
les censeurs, bas blancs ou rayés, souliers à boucles, ils négligeaient le son
du canon et la foule des angoissés ou des curieux qui tourbillonnait devant
eux, se regroupait, se défaisait, revenait, repartait en divers courants,
fendue par des fiacres requis qui trimballaient des soldats en sang vers ces
hôpitaux, bondés, que signalaient des drapeaux noirs visibles de loin. Ces messieurs
et quelques demoiselles en falbalas, si malmenés dans leur travail par un
gouvernement qui se défiait du théâtre, trop populaire donc trop dangereux,
considéraient la situation comme une chance : si l’Empire tombait
aujourd’hui, ils pourraient enfin jouer un Britannicus intégral.
    — Que vois-tu ? demandait l’un d’eux à son voisin,
un maigre aux cheveux filasse qui braquait sa longue-vue sur les collines.
    — Je vois des troupes, elles montent à l’assaut des
moulins de Montmartre, à travers les vignes.
    — Tant pis pour les vignes, c’est d’la piquette !
tonnait un gros taché de couperose.
    — Des Russes ? risquait une ingénue en chapeau à
plumes.
    — Vestes bleues, bonnets à poil…
    — Des grenadiers à cheval de la Garde, sans doute ceux
du général Belliard, dit Octave qui écoutait à la table voisine.
    — Venez avec nous, monsieur le savant, proposa le
rougeaud, et il attrapa une chaise libre.
    — Vous n’avez pourtant pas l’air bien militaire, dit
l’ingénue.
    — Je ne le suis pas mais j’ai appris à les identifier,
répondit Octave en s’installant au milieu des comédiens,
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