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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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s’intéresser à nous. Les gens se lassèrent de notre histoire. Et quand on commença à nous oublier, nous passâmes de l’état de parias à celui de spectres. La cérémonie commémorative en l’honneur de Paul se tint à la chapelle, mais l’assistance était si réduite qu’une salle de classe aurait suffi. On dénombra autant de professeurs que d’étudiants, ces derniers étant pour la plupart membres de l’Ivy Club ou de l’équipe d’urgence médicale, venus consoler Gil et Charlie. Le seul enseignant qui vint me saluer après la messe fut Mme LaRoque, le professeur qui avait poussé Paul à rencontrer Taft — et encore, elle semblait plus intéressée par les percées de Paul surl’ Hypnerotomachia que par le sort de Paul lui-même. Je ne lui fis pas part de ses découvertes et mis un point d’honneur à tenir ma langue par la suite. C’était la moindre des choses, préserver le secret que Paul s’était efforcé de garder dans le cercle restreint de notre amitié.
    Un ultime rebondissement suscita un bref regain d’intérêt à notre égard : une semaine après la parution des articles sur le parking souterrain, on découvrit que Richard Curry avait liquidé tous ses biens avant de quitter New York pour Princeton. Il avait mis sa fortune en fidéicommis, ainsi que ses possessions restantes de la salle de ventes. Comme les banques refusaient de dévoiler la teneur des dispositions, l’Ivy Club réclama une somme substantielle en contrepartie des dommages causés dans l’incendie. Les choses se tassèrent au moment où le comité directeur du club décréta que jamais l’argent de Curry n’achèterait une pierre du nouveau bâtiment. Entre-temps, les journaux se délectèrent d’une information supplémentaire : Richard Curry avait légué toute sa fortune à un bénéficiaire anonyme, et certains suggérèrent, comme je m’y attendais, que ce capital était destiné à Paul.
    Ignorant tout du mémoire de Paul, le grand public ne pouvait pas comprendre les motivations de Curry. On s’intéressa donc à son amitié avec Taft et on tourna en dérision les deux hommes, façon comme une autre d’expliquer cette tragédie sans rien expliquer du tout. La maison de Taft à l’institut resta vide. Nul ne souhaita y habiter et les adolescents du quartier se mirent au défi d’y pénétrer.
    Seul bienfait de ce climat, fait de théories extravagantes et de titres racoleurs : Gil, Charlie et moi fumes lavés de tout soupçon. Nous étions trop ordinaires pout avoir joué un rôle dans cette affaire, trop sages pour concurrencer Taft-Raspoutine et son assassin Curry le Cinglé dans les manchettes de la presse locale. La police et l’université déclarèrent qu’elles n’avaient pas l’intention de nous poursuivre en justice, au grand soulagement de nos parents, contents que leurs enfants échappent au déshonneur. Cela n’avait pas d’importance pour Gil, ce genre de chose n’en avait jamais eu, et, au bout du compte, je m’en moquais pas mal, moi aussi.
    Mais cette décision policière et administrative libéra Charlie d’un poids, car l’ombre du drame l’accablait. Gil estimait qu’il souffrait d’un complexe de persécution, mais je pense que Charlie s’était tout bonnement convaincu qu’il aurait pu sauver Paul. Et quoi qu’il arrive, il en était sûr, un jour ou l’autre, on lui reprocherait sa défaillance : pas nécessairement à Princeton, mais plus tard, dans l’avenir. Ce n’était pas tant la persécution qu’il redoutait que le jugement d’autrui.
     
    Je dois à Katie les seules joies de mes derniers jours à l’université. Au début, quand Charlie était encore hospitalisé, elle nous apportait à manger, à Gil et à moi. Après l’incendie, elle s’organisa avec ses camarades de l’Ivy pour se charger des commissions et préparer les repas à tour de rôle. Comme elle craignait que nous ne alimentions pas, elle cuisinait pour trois. Elle m’emmenait en promenade en invoquant les vertus réparatrices du soleil et du lithium, présent à l’état résiduel dans les rayons cosmiques à l’aube. Elle prenait même des photos de nous, comme si cette époque valait la peine d’être immortalisée. En tout cas, la photographe en elle était persuadée que la solution résidait dans l’exposition à la lumière.
    L’Ivy étant sorti de sa vie, Katie ressemblait plus à ce que je voulais qu’elle soit, et moins à la facette de Gil qui
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