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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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décachetai l’enveloppe. Le formulaire était rempli, l’adresse indiquée celle d’un hôtel en Italie. Cher Tom, écrivait-il sur le rabat intérieur, je t’ai laissé le formulaire de Paul. J’ai pensé que ça te ferait plaisir. Prie Charlie de ne pas m’en vouloir de partir si vite. Je sais que vous comprendrez. Si tu viens en Italie, fais-moi signe. G.
    Après une dernière accolade, Charlie et moi partîmes chacun de son côté. Une semaine plus tard, il m’appela chez moi sous un prétexte fumeux : avais-je l’intention d’assister, dans un an, à la réunion des anciens de la promotion ? Je feignis de ne pas l’avoir percé à jour : et nous discutâmes pendant des heures. Il finit par me demander l’adresse de Gil en Italie. Il avait trouvé une carte postale qui devrait lui plaire et qu’il tenta de me décrire. Je compris que Gil ne lui avait pas laissé ses coordonnées. Entre eux, les choses ne s’étaient jamais vraiment arrangées.
    Je ne me rendis pas en Italie cet été-là ni les années suivantes. Je vis Gil à trois reprises en quatre ans, chaque fois à l’occasion de la réunion de notre promotion. Nous avions de moins en moins de choses à nous dire. Les éléments de sa vie finirent par s’assembler avec une prévisibilité déconcertante. Il regagna Manhattan et, comme son père, il entra dans la finance. Contrairement à moi, il se bonifia avec l’âge. À vingt-six ans, il annonça ses fiançailles avec une ravissante jeune femme d’un an sa cadette qui me rappelait l’héroïne d’un vieux film. Le chemin de Gil était tracé d’avance.
    Ma relation avec Charlie résista mieux au temps. Pour être honnête, Charlie ne voulait pas me lâcher. Il a la particularité d’être le plus tenace des amis, l’homme qui refuse que des liens se dénouent au motif que la distance s’accroît et que les souvenirs s’effacent. En première année de médecine, il épousa une femme qui me rappelait sa mère. Leur premier enfant, une fille, porte le prénom de sa grand-mère. Le deuxième, un garçon, porte le mien. Étant célibataire, je suis en mesure de juger objectivement les dispositions paternelles de Charlie, sans craindre la comparaison. À vrai dire, Charlie est encore meilleur père qu’il n’est bon ami. Auprès de ses enfants, on lui sent ce côté protecteur, cette énergie formidable et cet appétit de vie qui le caractérisaient déjà à Princeton, Aujourd’hui, il est pédiatre, le médecin de Dieu. Sa femme m’apprend que, certains week-ends, il monte encore en ambulance. Et puisqu’il est resté croyant, j’espère qu’à l’heure du Jugement Charlie Freeman se retrouvera aux portes du ciel. Je ne connais pas meilleur homme.
     
    Quant à ce qu’il advint de moi, il m’est difficile d’en parler. Mon diplôme en poche, je rentrai à Columbus. En dehors d’un court séjour dans le New Hampshire, je passai tout l’été chez moi. Ma mère comprenait-elle mieux l’ampleur de mon chagrin que moi-même, ou était-elle tout simplement soulagée que Princeton soit enfin derrière moi — derrière nous  ? Toujours est-il qu’elle se confia à moi. Nous discutions ; elle plaisantait. Nous déjeunions et dînions en tête à tête. Nous allions sur la colline, celle que je dévalais avec mes sœurs, et elle me racontait sa vie. Elle projetait d’ouvrir une deuxième librairie, à Cleveland cette fois. Elle parla affaires, comptabilité, de la mise en vente éventuelle de la maison, puisque nous volions tous de nos propres ailes. Je ne retins de tout cela que l’essentiel : ma mère envisageait l’avenir.
    Pour moi, en revanche, l’avenir importait peu ; je voulais comprendre. Au fil des ans, les incertitudes de mon existence se dissipèrent, plus en tout cas que celles qui avaient jalonné la vie de mon père. Désormais, j’appréhende mieux l’état d’esprit de Richard Curry, pendant ce fameux week-end de Pâques : Paul se retrouvait dans une situation semblable à celle qu’il avait vécue et Curry ne supportait pas l’idée que son fils orphelin devienne un autre Bill Stein, un autre Vincent Taft, voire un autre Richard Curry. Le vieil ami de mon père estimait qu’il ne pouvait offrir plus beau cadeau qu’une ardoise vierge, un chèque en blanc pour un fonds illimité. Cela, nous l’avions compris trop tard. Même Paul, dans ce court laps de temps au cours duquel je le crus vivant, me donna de bonnes raisons de croire qu’il
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