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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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terroriser les veuves du quartier, qui, ainsi que le voulait la coutume, profitaient gracieusement de la chaleur de son four. Pour sa plus grande joie, il réussit son effet, à en croire les hurlements de frayeur que poussèrent les vieilles femmes le lendemain matin.
    Quel curieux destin que celui de Donato et de Rodrigo ! Leur mort leur valut une notoriété qu’ils n’auraient jamais atteinte de leur vivant, car les veuves sont de tout temps et en tout lieu gardiennes de la mémoire : même après l’aveu du boulanger, elles continuèrent à transmettre aux enfants de Rome, au même titre que la légende du monstre craché par les eaux du Tibre, l’histoire de cette formidable apparition.
    Le maçon avait accompli sa mission : on finit par oublier les messagers ; quant au secret du gentilhomme, il ne quitta jamais Saint-Laurent. L’alternance perpétuelle de la beauté et de la décadence se poursuivit. Telles les dents du dragon semées par Cadmos, le sang du mal se répandit sur la terre de Rome et engendra une seconde naissance. Il devait s’écouler cinq siècles avant qu’on ne découvre la vérité et que la mort ne croise à nouveau le chemin de deux autres messagers.
    Cette année-là, je terminais mes études à l’université dePrinceton.

Chapitre 1
    Quelle chose étrange que le temps ! À ceux qui en ont le moins il semble lourd, tandis que la jeunesse donne des ailes, même si elle porte le poids du monde sur ses épaules. L’idée de la toute-puissance est alors si séduisante qu’on se dit qu’il y a forcément mieux à faire que de réviser ses examens.
    Je me vois encore, la nuit où tout a commencé, allongé sur le vieux canapé rouge, plongé dans un bouquin de psycho sur Pavlov et ses chiens, me demandant pourquoi je n’avais pas été fichu de passer cette UV en première année comme la plupart de mes camarades. Deux lettres sont posées sur la table. Chacune contient la promesse de ce que pourrait être ma vie future. Il est tard et il fait froid en cette nuit d’avril 1999, à Princeton, dans le New Jersey. Nous sommes le Vendredi saint et il reste un mois avant la fin de l’année universitaire. Comme tout le monde, je m’inquiète pour mon avenir.
    Assis par terre, Charlie s’amuse à recomposer des phrases de Shakespeare en jonglant avec des mots aimantés sur le réfrigérateur. Il doit lire un roman de Francis Scott Fitzgerald pour sa dernière épreuve d’anglais, mais le livre reste ouvert sur sa tranche brisée, tel un papillon écrasé. Pour Charlie, non seulement Fitzgerald ne revêt pas le moindre intérêt, mais la littérature constitue un passe-temps pour snobinards, un jeu de bonneteau pour universitaires pédants. Son esprit scientifique y voit le summum de la perversité. Au point qu’il ressasse sans arrêt sa mauvaise note au partiel de février, et ce alors qu’il est déjà reçu à l’école de médecine et qu’il y entrera dès l’automne prochain.
    Gil nous observe en souriant. Ce passionné de cinéma, fanatique d’Audrey Hepburn, fait semblant de réviser ses cours d’économie en regardant Diamants sur canapé. Il a suggéré à Charlie de louer Gatsby le Magnifique plutôt que de lire le roman. Ni vu ni connu. L’idée est astucieuse, mais Charlie trouve l’opération douteuse, voire malhonnête. De toute façon, il a besoin de se répéter que la littérature est une vaste escroquerie. Alors, plutôt que Daisy Buchanan et Gatsby, nous subissons Holly Golightly pour la énième fois.
    À mon tour, je m’amuse avec les aimants sur le frigo : « to fail or not to fail : that is the question », échouer ou ne pas échouer : telle est la question. Charlie fronce les sourcils. Assis par terre, il paraît presque de la même taille que moi. Ce grand Noir de cent kilos, cet Othello gonflé aux stéroïdes, est obligé de se pencher pour ne pas se cogner la tête au plafond. Il mesure deux mètres, et moi, un mètre soixante-huit avec mes chaussures. Charlie nous surnomme la Géante rouge et la Naine blanche, la première étant une étoile particulièrement grande et lumineuse, la seconde, une minuscule étoile dense et sans éclat. Je ne me prive pas de lui rappeler que Napoléon mesurait cent soixante centimètres, ce qui, converti en pouces anglo-saxons, comme le fait judicieusement remarquer Paul, est encore plus ridicule.
    Paul est le seul de la bande qui manque à l’appel. Il a disparu plus tôt dans la journée et ne
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