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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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nous avait abandonnés, qu’il avait fui par les tunnels pour ne ; jamais revenir, le doyen lui ayant laissé peu d’espoir de décrocher son diplôme et moi-même ne lui en ayant laissé aucun pour Chicago. Lorsque je lui avais ; demandé où il aimerait aller, il avait répondu tout de go : à Rome, avec une pioche et une pelle. Je n’ai jamais atteint l’âge où l’on pose ce genre de questions à son père, même si je sais maintenant qu’il était homme à y répondre sans détour.
    Avec le recul, je m’aperçois que, si je m’étais dirigé vers la littérature après avoir perdu ma foi dans le livre — si j’avais cru l’aventure del’ Hypnerotomachia possible après avoir tant décrié l’amour que mon père lui portait —, c’était pour recoller les morceaux épars de la vie de mon père et me le réapproprier. Avec Paul, tout le temps de notre recherche sur l’œuvre de Colonna, la réponse sembla à ma portée. Avec Paul, l’espoir de comprendre un jour n’était pas vain.
    Quand cet espoir s’envola, j’honorai mon contrat et je devins concepteur de logiciels. Cet emploi qu’on m’offrait parce que j’avais réussi à résoudre une énigme, je l’acceptai parce qu’une autre m’avait résisté. Au Texas, je ne vis pas le temps passer. La chaleur, cet été-là, ne ressemblait à rien de ce que j’avais connu, aussi posai-je mes valises à Austin. Je correspondis avec Katie presque toutes les semaines pendant ses deux dernières années à Princeton, et j’attendis ses lettres avec impatience, même quand elles s’espacèrent. Je la vis une dernière fois lors d’une escapade à New York, pour fêter mes vingt-six ans. À la fin, même Charlie saisit que le temps avait eu raison de notre histoire. En traversant Prospect Park dans une lumière d’automne, non loin de la galerie où Katie travaillait, je compris que les choses que nous avions tant aimées étaient restées derrière nous, à Princeton, et que le futur n’avait pas réussi à les remplacer par la vision de bonheurs à venir. Katie, je le savais, avait cru que ce week-end sonnerait un nouveau départ, que nous esquisserions de nouveaux projets sous de nouveaux cieux. Mais la perspective d’une renaissance, celle-là même qui avait si longtemps soutenu mon père et préservé sa confiance en son fils, me paraissait de moins en moins s’appliquer à mon cas. Je sortis de la vie de Katie. Peu de temps après ce fameux week-end, elle m’appela une dernière fois. Elle savait que le problème venait de moi, que c’étaient mes lettres qui s’étaient abrégées, mes réponses qui se faisaient attendre. Sa voix raviva une douleur à laquelle je ne m’étais pas préparé. Elle annonça qu’elle ne me donnerait plus signe de vie tant que je n’aurais pas pris une décision à notre sujet. À la fin, elle m’indiqua le numéro de téléphone de sa nouvelle galerie en me demandant de la rappeler lorsque les choses auraient évolué.
     
    Mais rien n’évolua. Du moins pour moi. La nouvelle librairie de ma mère se développa très vite, aussi me demanda-t-elle de venir m’occuper de celle de Columbus. Mais je ne voulais pas quitter le Texas, maintenant que j’y avais des racines. Mes sœurs me rendirent visite, et Charlie en famille, une fois, chacun y allant de ses recommandations pour que je sorte de ma dépression et que je la surmonte, quelle qu’en soit la cause. En vérité, je me contentais de regarder les choses changer autour de moi. Les visages rajeunissent d’année en année, mais je lis les mêmes expressions, rebattues comme de la monnaie, de nouveaux prêtres dans d’anciennes églises. Je me souviens d’un cours d’économie au cours duquel on nous avait appris qu’un seul dollar, à condition de circuler assez longtemps, peut acheter tout ce qui est à vendre sur la planète : comme si le commerce était une chandelle inextinguible. Maintenant, dans chaque échange, je vois cet unique dollar. Ces choses qu’il achète, je n’en ai plus besoin. Et parfois, il ne vaut plus rien.
    C’est Paul qui supporta le mieux l’œuvre du temps. Il demeura toujours à mes côtés, jeune et brillant, dans l’éternité de ses vingt-deux ans, tel un Dorian Gray incorruptible. Et je crois que ce fut ma rupture avec une enseignante de l’université du Texas — une femme qui, je m’en rends compte aujourd’hui, me rappelait à la fois mon père, ma mère et Katie — qui m’amena à
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