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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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aussitôt un fragment luisant de son propre cœur.

 
3
    Liberty eut toujours peur du noir. Même une fois jeune
homme, il exigerait que la compagnie d’une flamme attentive veille sur sa
personne blottie sous les draps car la nuit, avait-il appris, était peuplée
d’une légion de formes voraces et la peur d’être arraché, dérobé
physiquement, sinon spirituellement, au monde familier, à sa famille même,
demeurait un sentiment difficile à surmonter.
    « Une nature inquiète, décréta Tante Aroline, comme
tous les Fish – et, non, ne soupçonne pas un seul instant que je m’exclue
de ce jugement. »
    Ce fut le tendre stratagème d’une mère qui parvint enfin à
détourner le garçonnet réticent du lit d’appoint placé au pied du baldaquin de
ses parents pour l’attirer, par l’escalier étroit et grincheux, jusqu’au nid
douillet qu’on lui avait préparé dans la mansarde.
    « Ici, expliqua Roxana de sa voix la plus maternelle,
nous sommes dans la tour d’un grand château. Et ceci – elle désigna d’un
geste quelque peu emphatique l’espace tronqué dans lequel mère et fils se
tenaient côte à côte comme les visiteurs d’un musée –, c’est la chambre
dérobée où réside le prince jusqu’au jour glorieux où il sera proclamé
roi. »
    Liberty était sceptique : ce lugubre réduit, même pour
son œil novice, paraissait revêtir toutes les caractéristiques d’un cachot
plutôt que de nobles appartements richement pourvus. Roxana appuya doucement la
main sur le matelas de plume jusqu’à l’enfoncer hors de vue, démontrant ainsi
les somptueux plaisirs nocturnes qui attendaient l’héritier du trône. Elle
ouvrit toute grande la fenêtre pour laisser entrer la clémence du printemps, la
douceur de son souffle pastoral, les bruissements et pépiements nerveux des
moineaux sur le toit. Liberty tourna brusquement les talons et quitta la pièce
d’un pas martial et dédaigneux.
    Lors de sa nuit inaugurale seul dans cette chambre,
prisonnier d’une obscurité si totale qu’il aurait tout aussi bien pu être
aveugle, il pleura et brailla, inconsolable, avec tant de constance et de
vigueur qu’il en perdait régulièrement le souffle dans des accès prolongés
d’horrible suffocation, à peine exagérés pour d’éventuelles oreilles parentales
aux aguets. Enfin, bien après la mort de tout espoir, l’escalier s’anima en un
couinement reconnaissable : J’arrive, j’arrive, et brusquement la porte
s’ouvrit sur le spectre impérieux de son père, éclaboussé de la ceinture à la
tête d’une lueur sauvage et effrayante qui dansait étrangement sur sa poitrine
et remodelait les traits bien-aimés du visage paternel en un masque inhumain
aux reliefs malveillants. Blotti entre les mains énormes de Thatcher comme un
transparent calice de feu se trouvait un verre à moitié rempli d’eau surmontée
d’une couche d’huile de baleine, surface tremblante où flottait un disque de
liège, dont le centre perforé contenait une mèche allumée qui s’avachissait
dans le liquide transparent comme un ver ondulant. Posant cette lampe de chevet
improvisée sur une table à jouer, hors de portée de Liberty, Thatcher
s’installa sur le bord du lit, prit la main tiède et moite de son fils dans la
sienne et attendit patiemment que les sanglots cessent d’agiter le corps du
garçon. Alors il demanda, tendrement : « Tu as fini ? »
Liberty hocha la tête. Incapable de soutenir le regard de son père, il étudia
le mouvement de ses doigts, comme mus d’une vie propre, qui se tortillaient et
se frottaient sans relâche les uns contre les autres.
    « Je comprends ta position, commença Thatcher. La
solitude, la nuit, les créatures cachées sous le lit et toutes ces choses, mais
à mon sens tu devrais comprendre qu’il viendra un jour, si incroyable que cela
puisse paraître, où tu désireras quitter la maison, et t’embarquer dans ton
aventure à toi sans réconfort, sans escorte, sans entourage. N’oublie pas :
ton grand-père Azariah n’a pas aidé le colonel Knox à tirer soixante tonnes
d’artillerie en plein hiver sur cinq cents kilomètres dans les monts Berkshire
pour que tu gaspilles les précieuses nuits de ton séjour sur terre à
pleurnicher comme un bébé parce que tes parents ne ronflent pas paisiblement
dans la même pièce que toi. Voilà pourquoi, afin de te conduire en sûreté
jusqu’aux portes de l’avenir qui t’attend, je t’ai
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