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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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dégageait de la boue pour qu’il vogue
vers un rivage plus propice.
    Elle se réveilla le front baigné de sueur, tremblant de tous
ses membres, fixant le rectangle gris de sa fenêtre jusqu’à ce que ce gris se
dissolve dans la lumière lente et liquide de l’aube. Durant toutes les semaines
qui suivirent elle n’eut qu’un sommeil haché, redoutant les lieux où ses rêves
risquaient de la conduire.
    Et puis, par une journée parfaitement ordinaire, sans
fanfare ni gonfalon, le grand moment débuta. Elle était seule à la
maison – Thatcher parti pour une autre mission à risques par-delà l’Ohio,
Aroline pour des courses en ville – et depuis son lever elle se sentait
légèrement « vague » (il n’y avait pas de mot plus précis), sensation
qu’elle associait généralement au simple fait d’être vivante, lorsque tout à
coup sa distraction se résolut en un spasme, puis un autre, et encore un autre,
et elle sut que le combat avait commencé. Elle sortit sur le perron et
s’installa dans le fauteuil à bascule, contemplant les collines si stables, si
concrètes, et le ciel d’automne radieux. Elle y était encore, à attendre tout ce
qui pouvait arriver, lorsque Aroline, un masque fermement fixé sur son nez
(précaution pratique qu’elle s’autorisait au moindre soupçon de froid), revint
en cabriolet, rapportant un plein panier de provisions moralement acceptables,
achetées à l’Épicerie & Magasin Général du Travail Salarié, et
des nouvelles haletantes du Grand Meeting électoral de soutien à Polk qui avait
transformé la grand-place somnolente en joyeuse fête foraine, suspendant
apparemment pour la journée toute activité normale. Fanfare ! Défilé
Militaire ! Prêches et Coups de Canon ! Huîtres et Glaces !
Chandelles Romaines à Huit Heures ! C’est alors qu’elle remarqua ce qui se
lisait sur le visage de Roxana ; identifiant le texte au premier coup
d’œil, elle mit aussitôt au lit sa belle-sœur, malgré ses protestations, et lui
ordonna de ne pas en bouger, le temps qu’elle aille chercher un médecin digne
de confiance.
    Deux heures de supplice plus tard, la confiance se présenta
sous la forme hirsute du Dr Timothy Margrave, un petit homme étroit et agité,
aux grandes oreilles poilues et au regard étonnamment vide, généralement fixé
sur un point situé à deux mètres derrière la tête de son interlocuteur. Il
portait un manteau élimé et mal ajusté, constellé à bâbord comme à tribord de
taches blanchâtres d’origine indéterminée. Et si ses manières, prévint-il
aussitôt les deux femmes, semblaient manquer de leur habituel charme bourru,
c’était parce qu’on l’avait interrompu alors qu’il soignait la grave blessure
infligée au postérieur du maire, M. Twiggs, pour procéder à un
accouchement somme toute fort banal. Son Honneur venait de conclure une
merveille exaltante de discours en faveur du candidat démocrate à la présidence
(« ce loyal “Napoléon du Scrutin”, valeureux champion de notre indépendance,
ennemi patriotique de toutes les puissances étrangères qui voudraient s’opposer
au progrès triomphant de notre Union vers sa destinée divine ») et
baignait dans les applaudissements et les vivats, tout en essayant de reprendre
son souffle, lorsqu’un bâtard noir et blanc qu’aucun spectateur ne voulut
reconnaître comme sien surgit de nulle part et planta sa petite dentition
pointue dans le fond, d’une ampleur appétissante, de la culotte exécutive. Les
plaisantins locaux suggérèrent qu’il s’agissait en fait d’un raton laveur aux
ordres de Clay, le candidat rival.
    Le médecin réclama un drap dont il recouvrit négligemment le
corps recroquevillé et dégoûté de Roxana puis, détournant scrupuleusement les
yeux, il entreprit, de ses mains froides et rugueuses, de l’examiner « en
bas ». Roxana fixait les moulures festonnées du plafond ; elle
s’imaginait vendue en esclavage, ses traits fiers lavés et lubrifiés, endurant
l’inspection de doigts masculins et inconnus dont le droit de sonder le moindre
orifice de sa chair était reconnu par la loi et béni par l’Église. Le Dr
Margrave retira ses bras de sous le drap, décréta que tout se passait comme
prévu et, revissant sur son crâne son chapeau de castor, prit congé sans
cérémonie. Il craignait des complications dans le cas difficile de
l’arrière-train municipal.
    À peine la porte s’était-elle refermée que
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