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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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1
    Les femmes à barbe dansaient dans la boue. De leurs trop
grands pieds paysans, jamais en repos, qui martelaient, pavane et gigue, ce
tronçon glissant de route inondée. Une glèbe jaune collait à l’ourlet de leurs
robes, à leurs bras couverts de coups de soleil et de taches de rousseur, à
leurs joues velues, et s’amassait en gros sous terreux sur les jabots à
dentelle de leur poitrine pudique tel un torse de héros négligemment constellé
de médailles. Une pluie froide tombait, tombait toujours, sur les collines
perdues, les champs encore fumants, les arbres frustes et difformes où la
lumière – vague et incertaine – s’efforçait de conférer au jour le
grain embué d’un daguerréotype. Et puis, au centre de ce silence ruisselant, il
y avait ces femmes, braillardes et excitées, sans origine ni raison, peut-être
échappées d’un cirque ambulant, abandonnées par distraction, duplicité ou
simple dépit, en conclusion improvisée à quelque triste histoire de séduction
perfide ; et tandis qu’elles dansaient, chantaient, folâtraient sous la
pluie, et que des pichets en faïence de tord-boyaux de pomme passaient
allègrement de main sale en main sale, leur chant résonnait grossièrement sur
cette désolation :
     
    Du rata, du
rata, du rata, sans fayots,
    Que du gras,
que du gras, que du gras, dans l’pourceau,
    Du caoua, du
caoua, du caoua, jus d’chapeau.
     
    Sur une pente à l’écart de la route s’élevait une haute maison
de bois dont les longs rideaux blancs pendaient, tordus et détrempés, par les
fenêtres ouvertes. Un merle solitaire était perché au sommet de la cheminée de
brique ; sa tête prismatique, perlée de deux yeux noirs, s’agitait par
saccades mécaniques. Plusieurs porcs émaciés fouaillaient avec une vigueur
audible parmi les moignons de meubles brisés, les flaques de vêtements
chatoyants qui jonchaient la pelouse ravagée. Du seuil assombri jaillit une
boîte à bijoux émaillée, qui rebondit une fois, deux fois, avant de disparaître
dans les herbes. Promptement suivie par une assiette de porcelaine anglaise,
des culottes de dame souillées et déchirées, une pendule criarde, un miroir
ovale qui s’évapora sur le pied d’une table renversée dans un éclat de confettis
scintillants : la maison se vidait méthodiquement. Une truie enceinte
rééquilibra ses flancs tachetés, puis se remit à ronger le cadre doré d’un
tableau grand style – du genre Washington recevant la reddition de
Cornwallis à Yorktown. Une femme à barbe apparut à la porte, tenant devant elle
un magnifique fauteuil en bois de rose tapissé d’un brocart rubis qui se
consumait en un feu sanglant. Le fauteuil balancé d’un geste atterrit bien
droit dans la boue où il continua de brûler, de se réduire à une noirceur
squelettique, à une pure abstraction. La femme à barbe le contemplait, auréolée
de flammes qui dansaient comme en transe. Derrière elle, l’incendie gagnait.
Des grumeaux de fumée grise s’écoulaient par flots de sous les bardeaux en
cèdre. La maison se mit à émettre un grand souffle grondant. Des flocons de
cendre humide tombaient d’un ciel d’opale.
    La silhouette courait déjà lorsque les femmes à barbe
l’aperçurent, dévalant obliquement la pente d’argile, comme matérialisée en
pleine foulée, surgie d’un monde parallèle d’horreur insoutenable et de fuite
perpétuelle.
    « C’est une négresse ! » cria l’une des
dames.
    Jeune, pieds nus, vêtue de haillons de laine. Sa terreur
flagrante toucha jusqu’à ces dames, pour une fois interloquées, dans leurs
fanfreluches en loques et leurs bottes gorgées d’eau. Elles regardèrent bouche
bée cette apparition gravir la route en bondissant comme un lièvre, et à mesure
qu’elle rétrécissait dans le lointain brumeux une fureur inexplicable enfla
parmi leurs rangs. Sans un mot, sans un geste, elles se lancèrent d’un même
élan dans une traque tapageuse. Un spectacle étonnant. Éclaboussant et hurlant,
se disputant la tête du peloton comme des chevaux de course éperonnés, tout en
barbes et bonnets frétillants, trébuchant sur leurs jupons, dérapant à plat
ventre dans la fange, elles offraient une vision de frénésie hermaphrodite qui
défiait l’imagination. Bientôt, elles se retrouvèrent coincées dans la gadoue,
l’haleine sifflante. Toutes sauf une. Intrépide en bonnet évasé et robe de bombasin,
elle les distança promptement,
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