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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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Roxana se dressa
brusquement sur son séant, arracha le drap de son corps et balança cette boule
de linge odieuse au visage stoïque de sa belle-sœur. Puis, se penchant par-dessus
son lit rembourré, elle décocha un superbe glaviot à l’endroit exact où s’était
tenu le bon docteur, et déclara que si jamais un autre homme de l’art pénétrait
un jour dans cette maison elle lui fourrerait personnellement son scalpel dans
le cul. Sans un mot de réprimande, Aroline se précipita pour essuyer le
plancher avec un mouchoir parfumé de lavande ; plus rien ou presque ne
pouvait la surprendre dans le sac à malices de sa belle-sœur. Ma mère est
passée par là, se dit Roxana farouchement. Huit fois. Je peux bien le faire une
fois. Évitant de s’attarder sur les détails, notamment l’armée de parentes, de
voisines, de servantes qui avaient aidé sa mère à chacun de ses accouchements,
allant chercher de l’eau, lui massant bras et jambes, la distrayant par des
commérages, tandis que Roxana devrait endurer son premier enfantement toute
seule, si l’on exceptait cette vieille fille écervelée pour qui le summum des
soins se résumait à une compresse froide et une machine électromagnétique.
    En face du lit était accrochée une lithographie sous cadre
de la Sorcière des eaux, un clipper pansu de toile qui gîtait
majestueusement, toutes voiles au vent (encore une lubie de Thatcher
l’éclectique : comme si, en contemplant depuis son oreiller, dans les
secondes enchantées du réveil, un rappel des royaumes que pouvait peupler
l’esprit, il espérait étancher son besoin occasionnel de mouvement, d’espace,
de lumière sans entraves). Tour biseautée de voile arrondie et de ligne
triangulaire, le navire fonçait sur le spectateur comme chargerait un éléphant.
Du haut de sa cordillère de douleur, et redoutant les pics qui restaient à
gravir, Roxana se concentra sur les proportions trompeusement pures du tableau,
la simple géométrie des cordages offrant à la conscience de nombreux points
focaux où s’abolir, tandis que la chambre tanguait, que l’air fleurissait, que
les drisses chantaient, que les pavillons claquaient et que le bois craquait de
la poupe à la proue, que l’atmosphère de la cale était une soupe virtuelle de
vapeurs toxiques (d’ordures, d’excréments, de goudron et de moisi), et que le
monde du jour n’était au mieux qu’une mince perche de lumière aveuglante
vacillant malicieusement par un trou opportun des planches du pont, comme s’il
était manié là-haut par quelque farceur visant à tourmenter davantage encore,
d’un coup aléatoire de sa baguette magique, cette misérable troupe :
gentlemen prostrés, épouses (passées ou à venir) dépenaillées, et une dizaine
de travailleurs forcés aux yeux rougis. Trop tard pour sœur Rosetta, déjà
passée de l’autre côté, éclaireuse au Paradis, laissant derrière elle un corps
ravagé, appât de choix pour les rats du navire, gros comme des chiens de
chasse, qui ne cessaient de s’enhardir d’heure en heure. Elle-même sentait ses
forces faiblir, et ignorait combien de temps encore elle pourrait tenir en
respect les rongeurs. (Alors seulement Roxana comprit que cette vie étrangère
qu’elle se surprenait à habiter avec une intensité morbide était en fait celle
de l’arrière-grand-mère May, qui avait bravé les lames atlantiques et l’inconnu
glaçant pour un dernier tour à la roue de la Fortune.) Elle avait les lèvres
crevassées, la gorge enflée, l’estomac à la dérive – car l’eau potable des
tonneaux avait depuis longtemps croupi, désormais couverte d’une toile complexe
de matière blanche et gluante immonde à regarder, impossible à avaler –
tandis qu’au-dessous d’elle, maintenant et à jamais, roulis et tangage
faisaient trembler la coque issue du fond des temps, et que la force terrible
des mains de Dieu vous passait sur le corps impitoyablement, et puis une voix
s’écria L’Amérique ! et, malgré le capitaine interdisant aux passagers
l’accès du pont, ceux qui tenaient encore debout se ruèrent vers le bastingage
pour contempler l’horizon vague qui lentement s’éploya, s’épaissit, élancement
printanier du plus pur des miracles.
    « C’est un garçon », déclara platement Aroline,
lui fourrant sous les yeux, d’un geste théâtral, une créature braillarde,
tortillante, chatoyante, pommelée de rouge et de bleu, en laquelle Roxana
reconnut
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