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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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confectionné cette
lampe. »
    Il entreprit alors d’instruire son fils des multiples risques
de la combustion, et en particulier des difficultés qu’il y avait à apprivoiser
en intérieur ce phénomène retors. Liberty connaissait-il l’histoire du frère
Latimer, qui habitait sur la vieille route de Cayuga ? Eh bien, un soir,
il n’y a pas si longtemps, bien après le carillon de minuit, le brave frère se
trouvait courbé sur son bureau, épluchant désespérément ses comptes,
s’efforçant, d’un trait de plume magique, de convertir deux dollars en trois,
lorsque, sous l’effet de l’heure tardive et d’une vitalité diminuée, il tomba
endormi comme une masse, le visage sur l’encre humide, et peu avant l’aube sa
main inconsciente, tendue vers quelque objet en rêve, renversa la chandelle et
hop ! en cendres les livres de comptes, en cendres la maison, en cendres le
frère Latimer, sa femme et ses trois enfants. Tu veux finir en cendres ?
Tu veux nous voir, ta mère et moi, finir en cendres ? Alors ne touche pas
à la flamme.
    Liberty avait encore les yeux gros comme des œufs à la coque
lorsque sa mère les rejoignit, baignée d’un arôme réparateur de pain d’épices
tiède qui émanait de l’assiette de biscuits qu’elle offrit à son fils :
chaque biscuit avait la forme d’un esclave à genoux, levant ses bras enchaînés
en une prière suppliante.
    Liberty affronta la nuit dans l’étreinte de plusieurs
oreillers, grignotant comme un castor les silhouettes épicées, l’une après
l’autre, à l’affût de la moindre fluctuation de cette perle jaune sombre qui
dérivait anarchiquement avec son île de liège sur l’espace immense des marées
du rêve, jusqu’à ce que l’aurore le trouve enfin endormi, un biscuit mâchouillé
serré dans son poing potelé, l’assiette abandonnée à l’oblique à côté de lui,
vide hormis une poussière de miettes et un tumulus en ruine de petites têtes
marron soigneusement rongées.
    Faut-il dès lors s’étonner que son plus ancien souvenir ait
été baptisé par la magie du feu ? Il était perché sur le genou osseux de
son père, étreint par des bras d’une force majestueuse, un souffle masculin aux
senteurs de vin bourdonnait doucement à ses oreilles, la pièce environnante
était chaude, enfumée, résonnante d’inconnus qui ne cessaient de s’approcher
pour lui tapoter la tête, lui empoigner le menton, faire des grimaces et autres
bêlements, ronronnements, roucoulements et discours, toutes choses que Liberty
ignora ostensiblement au profit de la scène grisante qui se déployait devant
lui, ce drame éternel du bois brûlant dans le foyer où vivaient et s’ébattaient
les petits nains orange parmi les bûches crépitantes. Il y avait là un monde
plus réel, où régnaient merveilleusement conflit taquin et métamorphose
perpétuelle, et, en le contemplant, Liberty, lui aussi, avait envie d’y vivre.
    Encadrant cette mascarade enjouée, une massive cheminée de
chêne noircie par le temps et la chaleur ; dans sa surface éraflée et
creusée de fossettes avait été gravée une série de marques géométriques qui,
des années plus tard, sous la tutelle patiente de sa mère, lui sauterait aux
yeux – avec la brusquerie des objets lointains qui acquièrent une netteté
aveuglante par la simple imposition de la lentille idoine –, métamorphosée
en ce prodige : la langue écrite. Et les lettres grossières des premiers
mots qu’il apprit à lire ornaient sa mémoire telle une amulette verbale qu’il
pourrait admirer, voire caresser si nécessaire, dans les sombres jours à
venir : LA LIBERTÉ EST TRAQUÉE AUTOUR DU
GLOBE. OH ! ACCUEILLE LE FUGITIF, ET PRÉPARE TANT QU’IL EST TEMPS UN ASILE
POUR L’HUMANITÉ .
     
    La maison où il grandit était un domaine enchanté, un
labyrinthe noueux de passages secrets, d’escaliers dérobés, de panneaux
coulissants, de trappes et de judas percés dans les lambris à des hauteurs
assorties, où béaient régulièrement des yeux désincarnés tels des bossages
vivants.
    Par un matin oisif mitraillé de soleil, vautré sur le tapis
Kidderminster vert et blanc du salon, et absorbé dans la composition patiente
d’un sermon sur le caractère sacré de la vie souriceaude qu’il comptait
prononcer l’après-midi même devant ses paroissiens courtois, les chats du
voisinage, Liberty se trouva lever les yeux à l’instant même où tout un pan de
mur tapissé pivotait
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