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La nièce de Hitler

La nièce de Hitler

Titel: La nièce de Hitler
Autoren: Ron Hansen
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déboutonna
machinalement sa robe bleue pour offrir à Geli un sein gonflé et endolori. Elle
vit alors que son demi-frère, offusqué, s’était réfugié dans la salle à manger
et regardait par la fenêtre, les mains fermement jointes derrière le dos. Elle
se souvint qu’il se cachait dans sa chambre pour s’habiller, ou se mettait les
mains devant la bouche, pris de malaise, quand elle parlait d’accouchement, et
que tout ce qui avait trait au corps le dégoûtait.
    — Tu n’oublieras pas de me donner ta
nouvelle adresse avant de partir, lui cria-t-elle. Où habites-tu ?
    — À quelques minutes de la Westbahnhof, dans
le VI e arrondissement. Un appartement au 29, Stumpergasse.
    Sans interrompre la tétée, Angela nota son
adresse.
    — Et ta propriétaire ?
    — Frau Maria Zakreys. Une Polonaise. À
côté il y a des Hongrois qui crient toute la journée. Au-dessus, des Slaves et
des Turcs. Les Habsbourg ont fait de Vienne une ville orientale.
    D’un mouvement las, tante Johanna s’affala
dans une bergère, l’avant-bras sur le front.
    — Tu n’aimes pas cet appartement, Adi ?
    Angela regardait Geli téter, et entendait
Adolf pérorer sur la ville. Presque chaque soir, il allait au Burgtheater ou à
l’Opéra – Tristan et Isolde pas plus tard qu’hier, et Le Vaisseau
fantôme jeudi –, mais il ne pouvait se le permettre que parce que August
avait des places gratuites avec le conservatoire. Sinon, la vie était si chère
qu’il avait dû mettre son manteau d’hiver au clou. Et il y en avait de plus mal
lotis. Pas étonnant que la ville passe pour être remplie de Raunzer, de
râleurs. C’était un endroit dangereux, où la vie était dure.
    Tante Johanna répondit par des « tss tss
tss », tandis qu’Angela présentait l’autre sein à Geli. Hitler s’était mis
à tourner autour de la table de la salle à manger. Est-ce que tante Johanna
savait qu’il avait arpenté les rues de Vienne un après-midi entier, sans
trouver un seul véritable Autrichien ? Parfaitement. Hier, il était allé
dans un café pour lire le journal, et tous ceux qu’il avait vus accrochés aux
montants de bois étaient en tchèque, en italien, en polonais, en croate ; pas
un seul en allemand ! Égalité des races, pfff ! Une honte. Hitler se
tourna à demi, mais voyant que Geli tétait toujours, il se planta devant le
portrait d’Aloïs, le père strict, pompeux, irritable et autoritaire, qui était
mort en 1903.
    — Le mal prospère là-bas ! poursuivit-il.
Un soir, August et moi nous avons vu L’Éveil du printemps, une pièce à
vous faire dresser les cheveux sur la tête, et j’ai estimé qu’il fallait que je
l’emmène à Spittelberggasse, la sentine de tous les vices.
    — La sentine de tous les vices ? demanda
tante Johanna.
    — Des maisons de prostitution, expliqua-t-il.
    — Mon Dieu !
    Angela le pensait misogyne ; elle se
demanda s’il avait jamais tenu la main d’une fille.
    — Tu me choques, Adolf, dit-elle en
souriant.
    — Je n’ai aucune envie de contracter la
syphilis, je vous assure. En fait, August et moi avons fait le vœu solennel de
toujours garder pure la sainte flamme de la vie. Mais si mon but est de fonder
l’État idéal, j’ai le devoir d’enquêter de loin sur les monuments purulents et
illicites élevés à la gloire de la perversion de notre époque.
    — On ne comprend pas un traître mot à ce
que tu racontes, dit tante Johanna en fronçant les sourcils.
    Angela sourit à Geli, qui oubliait de téter, les
yeux dans le vague, sa petite menotte aussi délicate qu’une mite posée
gentiment sur l’énorme urne blanche du sein d’Angela. Pouvait-on éprouver plus
d’amour pour un enfant sans s’évanouir de bonheur ? Est-ce que le jour
viendrait où Angelika aurait moins d’importance à ses yeux ? En entendant
les trois hommes rire aux éclats dans la cuisine, elle se demanda si ce qu’ils
disaient était vraiment drôle ou si c’était la Schadenfreude de Léo. Léo
qui applaudissait quand un serveur faisait tomber des assiettes, qui trouvait
toutes les chutes comiques, qui taquinait souvent les enfants jusqu’à les faire
pleurer ; Léo qui s’était intéressé à Angela Hitler parce qu’on lui avait
dit qu’elle ferait une bonne Hausfrau et que c’était une nature joyeuse
qui aimait bien la plaisanterie. Elle avait vingt ans alors, robuste et belle
avec son visage carré, et il lui tardait tellement de partir de chez
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