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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille
Autoren: Patrick Rambaud
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coup de fusil ?
    — À ma première chasse aux canards, j’ai ramené deux
corbeaux !
    — Et pas d’Autrichiens ?
    — Je n’ai pas encore vu de vraie bataille,
Louis-François. J’ai manqué Iéna de quelques jours. Avant Neubourg, j’ai cru
entendre le canon, c’était l’orage.
    Henri avait pourtant franchi le pont d’Ebersberg quand la
ville achevait de brûler ; sa voiture avait roulé sur des cadavres sans
figures ; sous les roues il avait vu jaillir des entrailles ; pour
jouer le désinvolte et se donner une contenance dure, il avait continué à
bavarder malgré une tenace envie de vomir. Comme ils entraient maintenant dans
les écuries de l’intendance, Lejeune s’écria :
    — C’est ça, ton cheval ?
    — Celui qu’on m’accorde, oui, je t’ai prévenu.
    — Tu as raison : il ne lui manque que la
charrue !
    Si différents de costume et de monture, mais sans se soucier
du ridicule, les deux amis prirent la route de Vienne dont on voyait de loin
les remparts et la haute flèche du clocher de Saint-Étienne.
     
    Vienne avait deux enceintes. La première, une simple levée
de terre, limitait les faubourgs très peuplés où se tassaient des maisons
basses à toits rouges ; la seconde enfermait la vieille cité derrière une
forte muraille munie de fossés, de bastions, de casemates, de chemins couverts,
mais, parce que les Viennois ne craignaient plus les Turcs ni les rebelles
hongrois, des hôtels et des magasins avaient librement poussé le long de ces
fortifications, et on avait planté des arbres sur les glacis pour y tracer des
promenades.
    Lejeune et Beyle passèrent l’arche d’une grande porte et
s’enfoncèrent au pas dans les rues tordues de la ville, entre des maisons
longues, étirées, médiévales et baroques mêlées, peintes avec des couleurs
tendres, italiennes, aux fenêtres chargées de fleurs bleues, de cages à
oiseaux. Le spectacle des passants réjouissait moins l’œil : il n’y avait
partout que des soldats.
    C’est une chose laide, un vainqueur, pensait Henri à la vue
des troupes dépareillées qui régnaient sur Vienne. Napoléon venait de leur
abandonner pour quatre ou cinq jours cette ville à peine grande comme un
quartier de Paris, alors ils en profitaient. On aurait dit une meute de chiens
de chasse. Ils avaient mille fois risqué la mort, soit, et de vilaine manière,
ils laissaient derrière eux des cadavres d’amis, des estropiés, des aveugles,
un bras, une jambe, mais la peur retombée justifiait-elle le débordement ?
Ces meubles que les dragons descendaient par des cordes dans la rue, tandis que
leurs compères menaçaient les volés, cela ne manquerait pas de nous aliéner une
population d’un naturel pourtant doux. Un cuirassier au casque de fer,
enveloppé dans un long manteau blanc autrichien, avait jeté sur le sol des
costumes de théâtre, des clarinettes, des fourrures dérobées qu’il espérait
vendre à la criée. D’autres éventaires se suivaient dans une ruelle, où ces
pirates écoulaient leurs rapines, colliers de verre ou de perles, robes, ciboires,
chaises, miroirs, statuettes éraflées, et cela se bousculait comme dans un souk
du Caire, cela parlait vingt langues et venait de vingt pays pour se fondre en
une seule armée avec arrogance, Polonais, Saxons, Bavarois, Florentins qu’on
surnommait charabias, un mameluk de Kirmann qui n’avait d’arabe que les
culottes bouffantes car il était né à Saint-Ouen. Il y avait des faisceaux sur
les places et à la croisée des avenues. Des fantassins en guêtres grises
boutonnées haut ronflaient dans la paille sur un parvis d’église. Des chasseurs
en tenue sombre poussaient des chevaux noirs, et un groupe de carabiniers à
pied roulait des tonneaux de riesling. Quelques hussards plastronnaient devant
un café en mangeant du bœuf bouilli, fiers de leurs culottes bleu ciel et de
leurs gilets garance, avec leurs lourdes nattes tressées qui servaient à
amortir les coups de sabre, et des plumets sans mesure pointés au shako. Un
voltigeur sortait d’un porche avec en fourragère un chapelet de
saucisses ; il titubait un peu en se tenant au mur pour pisser.
    — Regarde ! disait Lejeune à son ami. On se
croirait à Vérone…
    Il indiquait du bras une fontaine, un immeuble étroit,
l’éclairage blond qui découpait les façades d’une placette. Lejeune affectait
de ne rien voir d’autre. Ce n’était pas un officier ordinaire. De ses garnisons
et de
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