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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille
Autoren: Patrick Rambaud
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non ! Colonel ! Qu’on me foute la paix
avec ces prétendus millions ! Vous êtes le troisième que Masséna envoie
aux renseignements ! Tout ce que j’ai trouvé, à part les canons de
l’Arsenal, c’est ça…
    Il renversa de son soulier à boucle une caisse en bois. Des
florins autrichiens s’éparpillèrent sur le sol.
    — Nous les devons au travail minutieux de Monsieur
Savary, expliqua Daru. Ils sont faux. Je m’en sers pour payer mes fournisseurs
indigènes. Prenez-en donc une ou deux liasses.
     
    — Henri !
    — Louis-François !
    Louis-François Lejeune et Henri Beyle, qui ne s’appelait pas
encore Stendhal, se connaissaient depuis neuf ans ; en poste à Milan, ils
s’étaient chamaillés pour une Lombarde effrontée, mais Lejeune l’avait emporté
et Henri en avait été secrètement heureux : il préférait l’inaccompli, et
cette trop belle Italienne l’aurait-elle accepté ? Il se pensait alors
fort laid, cela le rendait timide malgré son habit vert du 6 e  dragons
et son casque à crinière enturbanné de lézard. Ils s’étaient revus plus tard à
Paris dans une loterie du Palais-Royal, et s’en étaient allés sur les
boulevards, chez Véry, manger des huîtres à dix sous la douzaine sous des
candélabres dorés. Lejeune avait régalé. Henri, qui avait quitté l’armée et
n’avait plus un sou, en avait profité pour dévorer une poularde. Lejeune
s’apprêtait à rejoindre son régiment en Hollande ; Henri s’imaginait
planteur en Louisiane, banquier ou auteur dramatique à succès, à cause des
actrices…
    Voilà qu’ils se retrouvaient devant Vienne au hasard d’une
mission. L’un était surpris et l’autre pas : que Lejeune soit colonel,
rien de plus normal puisqu’il avait choisi sa carrière et y persistait, mais
Henri ? C’était à l’époque un gros garçon de vingt-six ans à la peau
luisante, avec une bouche fine, presque sans lèvres, des yeux marron en amande,
des cheveux plantés haut qui s’ébouriffaient sur un grand front. Lejeune, très
étonné, lui demanda ce qu’il fabriquait dans ce bureau de l’intendance.
    — Ah ! Louis-François, j’ai besoin de vivre au
milieu des grands événements pour être heureux.
    — En commissaire des guerres ?
    — Adjoint, seulement adjoint.
    — Daru m’a pourtant envoyé chez le commissaire Beyle.
    — Il est trop bon, il doit être malade.
    Le comte Daru considérait peu Henri ; il le traitait
sans cesse d’étourdi, le menait à la rude, lui confiait des besognes
empoisonnantes ou dénuées d’intérêt.
    — Quels sont mes ordres ? demanda-t-il à son ami,
à la fois ravi de le revoir et inquiet de ce qu’il allait lui demander.
    — Peu de chose : tu dois m’offrir de l’écureuil en
sauce aux frais du comte Daru.
    —  My God  ! Tu en as envie ?
    — Non.
    Henri boutonna son frac bleu, attrapa son chapeau à cocarde
tricolore et profita de l’aubaine pour fuir son bureau. En traversant la salle
voisine, il prévint ses secrétaires et ses commis qu’il ne reviendrait pas de
la journée, et les autres, considérant l’uniforme de Lejeune, n’en demandèrent
surtout pas la raison, la jugeant considérable. Dehors, Lejeune demanda :
    — Tu t’entends avec ces gratte-papier ?
    — Oh non, Louis-François ! Je te rassure. Ils sont
grossiers, intrigants, sots, insignifiants…
    — Raconte-moi.
    — Où allons-nous ?
    — J’ai réquisitionné une maison dans la vieille ville,
j’y loge avec Périgord.
    — Soit, allons-y, si tu n’as pas honte de mon costume
civil et de mon cheval : je te préviens, c’est un authentique percheron.
    Sur le chemin des écuries ils parlèrent d’eux-mêmes, surtout
d’Henri : non, il ne renonçait pas au théâtre ; dès qu’il pouvait,
même en voiture, il étudiait Shakespeare, Gozzi et Crébillon fils, mais écrire
des comédies ne permettait pas de vivre et il ne voulait plus rien devoir à sa
famille. Il avait cependant accepté la protection de Daru, un parent éloigné.
De l’intendance impériale, il espérait briguer un poste d’auditeur au Conseil
d’État, ce qui n’était pas en soi un métier mais une étape vers tous les
emplois ; et d’abord une rente. Henri venait de passer deux ans en
Allemagne où il partageait son temps entre l’administration, l’Opéra, la chasse
et les jeunes filles :
    — À Brunswick, dit-il, j’ai appris à devenir moins
timide et à chasser.
    — Tu as un bon
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