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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille
Autoren: Patrick Rambaud
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tout fait. On le savait voleur,
on le disait rancunier, mais l’Empereur avait cette fois encore besoin de sa
science des armes. D’ordinaire, le maréchal méprisait ceux qu’on surnommait
« les dadais de Berthier », ou « les geais », parce que
lui, fils d’un marchand d’huile d’olive de Nice, contrebandier quelque temps,
il n’était pas né maréchal, ni duc, comme ces jean-foutre ramassés dans la
banque ou chez les aristos, des marquis, des fats qui portaient des pommades et
des objets de toilette dans leurs gibernes, les Flahaut, Pourtalès, Colbert,
Noailles, Montesquiou, Girardin, Périgord… Il plaçait cependant Lejeune à
part : c’était le seul bourgeois de cette bande, même s’il avait appris
comme les autres à saluer chez Gardel, le maître des ballets de l’Opéra. Et
puis il avait des talents de peintre que Sa Majesté appréciait.
    — Vous avez repéré les lieux ? demanda Masséna.
    — Oui, Monsieur le duc.
    — Comment est-ce ? Quelle largeur ?
    — Environ huit cents mètres.
    — Soit quatre-vingts bateaux pour appuyer le tablier…
    — J’ai prévu une rivière, Monsieur le duc, où nous
pourrions les ranger à l’abri.
    — Et des madriers, disons neuf mille… Pour ça il y a
des forêts à débiter, dans ce fichu pays.
    — Mais quatre mille poutrelles, à peu près, et au moins
neuf mille mètres de cordage solide.
    — Oui, et des ancres.
    — Ou des caisses de pêcheurs, Monsieur le duc, qu’on
remplira de boulets.
    — Les boulets, colonel, essayons de les économiser.
    — J’essaierai.
    — Eh bien ouste ! Réquisitionnez-moi tout ce qui
flotte !
    Lejeune allait partir lorsque Masséna le retint d’un éclat
de voix :
    — Lejeune, vous qui furetez partout, dites-moi…
    — Monsieur le duc ?
    — On dit que les Génois ont placé cent millions dans
les banques de Vienne. C’est vrai ?
    — Je l’ignore.
    — Vérifiez. J’insiste.
    Une forme grogna sous les draps. Lejeune aperçut des mèches
claires. Avec le sourire complice d’un maquignon, Masséna arracha la
courtepointe brodée, releva une jeune femme peu réveillée en la tenant par la
crinière :
    — Colonel, prévenez-moi vite pour l’argent des Génois
et je vous la donne. C’est la veuve d’un tirailleur corse éventré la semaine
dernière, elle est docile et ronde comme une duchesse !
    Lejeune appréciait mal ces mœurs de cabaret et cela se
lisait sur sa mine fermée. Tout de même, pensait Masséna, ces jeunes bégueules
ne sont pas vraiment des soldats. Il laissa retomber la femme dans ses
oreillers de soie et dit d’un ton plus sec :
    — Allez ! Filez chez Daru !
     
    Le comte Daru gouvernait l’intendance impériale. Il avait
établi ses services dans une aile du château de Schönbrunn, près de l’Empereur,
à une demi-lieue de Vienne. Il y régnait par ses coups de gueule sur tout un
peuple de civils, car ce n’était plus une armée qui suivait Napoléon, mais une
horde, une ville en marche, cinq bataillons d’équipages pour conduire deux
mille cinq cents chariots de fournitures et de matériel, et des compagnies de
boulangers, des constructeurs de fours, des maçons bavarois, tous les métiers
ou presque, encadrés par quatre-vingt-seize commissaires et adjoints :
ceux-là s’occupaient du logement, du fourrage, des chevaux, des voitures, des
hôpitaux, du ravitaillement ; de tout. Daru devait savoir où dénicher des
bateaux.
    Lejeune passait un large pont orné de sphinx, sur la Vienne,
puis une haute grille flanquée de deux obélisques roses surmontés d’aigles en
plomb. Il entra dans la cour carrée de Schönbrunn, ce château où les Habsbourg
résidaient en été sans trop de protocole, à l’ombre d’un parc où couraient des
écureuils pas farouches. Dans le va-et-vient des équipages et des bataillons de
la Garde, il avisa un caporal aux épaulettes de laine verte :
    — Daru ? lui cria-t-il.
    — Par là, mon colonel, sous la colonnade de gauche
après le grand bassin.
    C’était un palais viennois, c’est-à-dire à la fois pompeux,
intime, baroque et austère, imité de Versailles, en ocre et plus réduit, plus
irrégulier aussi. Lejeune trouva Daru qui gesticulait au milieu d’un
groupe ; il injuriait l’un de ses commissaires à chapeau claque ; il
vit arriver Lejeune comme un tracas : qu’est-ce qu’on allait encore lui réclamer ? En frac boutonné devant sur un ventre important, les
basques
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