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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille
Autoren: Patrick Rambaud
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mourir.
    — Ils sont montés chez Mademoiselle Krauss ?
    — Rassurez-vous, Louis-François, dit Périgord en
entraînant son collègue dans les antichambres du premier. Deux dragons étaient
étalés sur les marches d’un second escalier qui menait aux étages.
    — Ces imbéciles voulaient piller un peu là-haut, dit
Périgord d’une voix lasse. Je le leur ai interdit. Ils ont essayé de forcer le
passage…
    — Vous les avez tués ?
    — Oh non, je ne pense pas. Ils ont pris à la volée une
chaise en pleine figure. Je vous prie de croire, mon cher, que ces chaises sont
diablement lourdes. Cela dit, en tombant, ils se sont peut-être tordu le cou,
je n’y ai pas regardé de plus près. De toute façon, je vais les faire enlever.
    — Merci.
    — De rien, mon cher, ma galanterie naturelle y est pour
beaucoup.
    Henri, un peu éberlué par la scène qu’il venait de vivre,
continuait à suivre son ami qui courait maintenant dans l’escalier et dans les
couloirs, jusqu’à une porte massive où il cogna en appelant :
    — C’est moi, c’est le colonel Lejeune…
    Périgord avait enfilé une robe de chambre cousue de
parements et de brocarts. Il les avait rejoints, la moitié seulement de sa
moustache dressée. Pendant que Lejeune frappait à la porte, il causait à Henri
comme s’il était dans une soirée de Trianon :
    — Le pillage fait partie de la guerre, ne croyez-vous
pas ?
    — J’aimerais ne pas le croire, disait Henri.
    — Souvenez-vous de l’histoire de ce vétéran d’Antoine
qui avait fait la campagne d’Arménie. Il avait mutilé la statue d’or de la
déesse Anaïtis pour en emporter une cuisse. Rentré chez lui, il avait revendu
la jambe de la déesse, il s’était acheté une maison dans la région de Bologne,
des terres, des esclaves… Combien de légionnaires romains, mon cher, sont-ils
revenus avec de l’or volé en Orient ? Cela a servi au développement de
l’industrie et de l’agriculture dans la plaine du Pô. Vingt ans après Actium,
la région était florissante…
    — Assez, Périgord, disait Lejeune. Arrêtez un peu vos
leçons d’histoire !
    — C’est dans Pline.
    La porte s’ouvrit enfin sur une femme âgée au turban de
crêpe blanc. Lejeune, qui était né à Strasbourg, lui parla en allemand, elle
lui répondit dans la même langue, alors seulement le colonel se sentit
rassuré ; d’un signe, il pria Henri de le suivre dans la pièce.
    — Je vous laisse, dit Périgord. Dans cette tenue
négligée, je suis à peine présentable.
     
    Anna Krauss avait dix-sept ans, des cheveux très noirs et
les yeux verts. Elle referma le livre qu’elle faisait semblant de lire, se
dressa quand ils avancèrent vers elle, s’assit au bord du sofa pour enfiler des
sandales romaines et se leva avec une souple lenteur. Sa jupe longue en percale
des Indes, très fine, était brodée de jasmins ; une agrafe imitée de
l’antique retenait une tunique en dentelle sur ses épaules rondes ; ses
mains sans bijoux, sa pose toute entière fragile et ferme, sa taille mince mais
ses hanches solides, ainsi, à contre-jour, avec la lumière qui traversait les
vêtements légers pour mieux dessiner le corps, elle surgissait comme une
allégorie contradictoire au milieu de la guerre. Lejeune la regardait, les yeux
mouillés ; il avait eu si peur. Ils se mirent tous deux à parler en
allemand, à voix presque basse. En retrait, Henri avait de la sueur aux tempes,
les joues en flammes, des yeux fixes. Il avait chaud. Il avait froid. Il
n’osait bouger. Il contemplait Anna Krauss ; son visage d’un ovale italien
ressemblait à un pastel de Rosalba Carriera qu’il avait apprécié naguère chez
un collectionneur de Hambourg, mais non, le velouté de cette peau était réel,
que le soleil filtré par des fenêtres en vitrail adoucissait encore.
    Au bout d’un moment, Lejeune se retourna vers Henri pour lui
traduire la conversation, car malgré deux années à Brunswick, où tout le monde
parlait français avec lui, sinon des servantes qu’il caracolait et n’avait pas
besoin d’entendre, Henri ne s’était jamais habitué au rocailleux de cette
langue.
    — Je lui ai dit que vendredi j’irais rejoindre les
pontonniers sur le Danube, puis l’état-major, pour cantonner sur l’île Lobau.
    — Oui, disait Henri.
    — Je lui ai dit qu’en mon absence il fallait quelqu’un
de confiance pour protéger sa maison des possibles voyous que nos
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