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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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comme le confesseur et l’envoyé du sire de Rais. Il vous demande si vous seriez disposé à l’aider dans son œuvre de salut auprès dudit sire de Rais. Vous acceptez.
    — Il y avait une âme en perdition, je me devais de voler à son secours, prononça noblement Prelati.
    — Tant de sollicitude étonne de votre part, et on est encore plus surpris quand on apprend qu’au secours de cette âme en perdition, comme vous dites, ce n’est pas Dieu ni ses saints que vous invoquez, mais Satan, Barron, Bélial, Belzébuth, bref tout le ban et l’arrière-ban de l’enfer !
    — Eux seuls pouvaient encore quelque chose pour le sire de Rais.
    — Expliquez-vous.
    — Le père Blanchet m’avait prévenu. Pourtant quand j’ai découvert l’état d’abjection où était tombé le sire de Rais, j’ai été effrayé.
    — Et vous avez appelé le Diable à la rescousse.
    — Pour ce qui est de Dieu et de ses saints, le père Blanchet était là, et il paraissait au bout de son latin. Un proverbe de mon pays dit à peu près : à maladie de palefrenier, médecine de cheval. La médecine en l’occurrence, c’était le feu. Et premièrement le feu de l’Enfer, seul propre à cautériser les plaies purulentes du sire de Rais.
    — Étrange médication qui consistait à livrer Rais au Diable !
    — Il n’était pas question de livrer le sire de Rais au Diable. Pour invoquer Barron, j’avais composé la cédule dont voici la formule : « Viens à ma volonté, et je te donnerai ce que tu voudras, excepté mon âme et l’abréviation de ma vie. »
    — Croyez-vous donc qu’on fait ainsi la part du Diable ?
    — Certainement. Il n’est que de savoir lui parler.
    — Et quand vous vous engagez à lui donner tout ce qu’il voudra, savez-vous ce qu’il va vouloir ?
    — Sans doute.
    — Des sacrifices humains ! Du sang, des cœurs, des membres d’enfants !
    — Dieu n’a-t-il pas demandé à Abraham de lui sacrifier son petit Isaac ?
    Malestroit ne pouvait en supporter davantage. Il se leva furieux et pointa son index ganté de mauve :
    — Maudit Florentin, tu outrages les Écritures !
    Prelati se tourna vers lui avec une déférence ironique :
    — Et Jésus n’a-t-il pas dit : Laissez venir à moi les petits enfants  ?
    — Je t’ordonne de te taire ! tonna Malestroit.
    — Satan est l’image de Dieu, poursuivit Prelati avec une douceur affectée. Une image inversée et difforme, certes, mais une image cependant. Il n’est rien de Satan qui ne se retrouve en Dieu. C’était d’ailleurs sur cette ressemblance profonde que je comptais pour sauver le sire de Rais.
    Malgré eux, tous ces théologiens, grands amateurs de fines disputes, dressent l’oreille. Pierre de l’Hospital fait signe à Malestroit de laisser parler Prelati.
    — Continuez !
    — Pousser le sire de Rais au plus noir de sa mauvaiseté, puis, par l’opération ignée, lui faire subir une inversion bénigne semblable à celle qui transmue en or le plomb ignoble. Il devenait un saint auréolé !
    — C’est du délire ! s’exclame Malestroit.
    — Nous vivons des temps de délire. Le sire de Rais a été foudroyé par la tribulation de Jeanne la Pucelle.
    — Que vient faire maintenant Jeanne la Pucelle dans cette affaire ?
    — Le sire de Rais a remis son cœur de chevalier entre les mains de Jeanne qui rayonnait de sainteté. Les anges veillaient sur elle. Saint Michel et sainte Catherine la conseillaient. Au demeurant, elle volait de succès en victoire. Puis ce fut l’inversion maligne : la nuit noire du cachot, le procès, la condamnation, le feu expiatoire, mais aussi rédempteur. Cette inversion maligne, il fallait que le sire de Rais la subisse à son tour. De là ses crimes sous l’invocation du Diable. Mais il est désormais en bonne voie.
    — Qu’appelez-vous en bonne voie ?
    — N’est-il pas en marche à son tour vers le bûcher ?
    — Et ensuite, qu’espérez-vous ?
    — L’inversion bénigne. Qui sait si, un jour, la sorcière de Rouen ne sera pas réhabilitée, lavée de toute accusation ? Honorée et fêtée ? Qui peut dire si, un jour, elle ne sera pas canonisée en cour de Rome, la petite bergère de Domrémy ? Sainte Jeanne ! Quelle lumière ne retombera pas alors sur Gilles de Rais qui l’a toujours suivie comme son ombre ? Et qui peut dire si, dans ce même mouvement, on ne vénérera pas son fidèle compagnon : saint Gilles de Rais ?

27
 
    En ce
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