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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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    C’est en cette fin de l’hiver 1429 – le 25 février – au château de Chinon que leurs destins se sont croisés. Gilles de Rais fait partie de ces hobereaux bretons et vendéens qui ont pris fait et cause pour le dauphin Charles, bousculé par l’armée anglaise. Au nom d’Henri VI, roi d’Angleterre – qui n’est encore qu’un enfant – son oncle Jean, duc de Bedford, exerce la régence. Mais il règne aussi à Paris, il occupe la Normandie et assiège Orléans, porte du sud de la France.
    À Chinon on parle beaucoup, on agit peu. Ces politiques et ces militaires abreuvés d’échecs et de défaites croient-ils encore à la cause qu’ils défendent ? Il n’est pas jusqu’au dauphin Charles qui n’ose s’affirmer avec assurance le fils de Charles VI à travers toutes les trahisons de sa mère, Isabeau de Bavière. Une société brillante, mais sans âme, clabaude, cancane et jase sous les plafonds à caissons de la salle du trône qu’illumine une immense cheminée.
    C’est alors qu’on annonce une étrange visite. La cour s’en promet quelque divertissement. Une jeune fille de seize ans, d’origine paysanne, venue des Marches de Lorraine, se dit envoyée par le Roi du Ciel pour sauver le royaume de France. Le Dauphin a décidé de la recevoir. Pour les courtisans cette extravagante est la bienvenue : les distractions se font rares en cette mauvaise saison d’exil. Mais Charles, angoissé, harcelé de sinistres nouvelles, environné de sombres présages, nourrit sans doute un faible et secret espoir, comme un malade abandonné par les médecins qui se tournerait vers un guérisseur.
    À cette heure tardive, on se presse dans la salle du trône. Plus de cinq cents chevaliers éclairés par une forêt ardente de torches s’immobilisent soudain et regardent vers la porte. Ils voient survenir à pas décidés un petit page dont l’habit noir et gris de gros drap contraste rudement avec leurs brocarts, leurs fourrures d’argent et d’hermine, leurs tuniques de soie brodée. Des yeux verts et lumineux, un visage osseux aux pommettes hautes, un casque de cheveux sombres coupés au bol, et cette démarche souple, presque animale que donne l’habitude de marcher pieds nus… En vérité cet être-là vient d’ailleurs et jure au milieu des courtisans, comme un jeune faon parmi les dindons, les paons et les pintades d’une basse-cour.
    Elle a fait tenir au Dauphin un message péremptoire :
    J’ai parcouru cent cinquante lieues au milieu des bandes armées pour vous porter secours. J’ai beaucoup de bonnes choses à vous dire. Je saurai vous reconnaître entre tous.
    Les gentilshommes ont bien ri. Charles a eu un sourire pincé. Entre la fille-garçon qui se veut envoyée de Dieu et le faux roi, fils d’un fou cocu et d’une reine putain, va se jouer un jeu étrange de dissimulation et de reconnaissance.
    — Elle prétend me reconnaître entre tous, dit Charles. Eh bien soit ! Mettons-la à l’épreuve. Qu’elle entre et qu’elle reconnaisse le Dauphin entre tous !
    Il s’est levé et a cédé son fauteuil fleurdelisé au comte de Clermont – celui-là même qui a été retenu en captivité par Jean sans peur et libéré sous la condition qu’il épouserait sa fille Agnès.
    Le voici donc le petit page au regard de lumière.
    Il cherche le Dauphin. Il hésite devant Clermont, puis apercevant Charles, il va à lui et s’agenouille. Comment l’a-t-il reconnu ? À son nez lourd, à sa bouche tombante, à son crâne rasé, à ses jambes cagneuses ? Mais lui ne la reconnaît pas. Il ne voit qu’un jeune garçon qui veut se faire passer pour une pucelle, une illuminée qui se réclame d’un commerce quotidien avec les saints du paradis.
    Le petit page pourtant communique déjà un peu de sa force de conviction à cette ombre de roi. D’une phrase, il a balayé les doutes qui planent sur lui comme un vol de charognards. Je te dis de par Dieu que tu es vrai héritier de France et fils de roi, et que je suis envoyée pour te conduire à Reims afin que tu y reçoives ton couronnement et ta consécration. Tant de chaleur ne peut rester sans effet. Le visage de Charles se colore d’une rougeur, et ses yeux brillent de gaieté. En Jeanne, il s’est reconnu lui-même, roi de par Dieu. Mais il s’en faut qu’il la reconnaisse elle-même en retour.
    — Jeanne de Domrémy, tu te prétends fille et envoyée de Dieu, prononce-t-il. Es-tu prête à te soumettre aux épreuves
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