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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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vous frère Jean de Blouyn, et vous frère Guillaume Mérici, et vous autres qui siégez à droite et à gauche de ces éminences, comme autant d’oiseaux de mauvais augure sur le même perchoir :
    « Je suis chrétien autant que vous, et autant que vous j’ai droit à la justice divine, et j’affirme, de par Dieu, que vous n’êtes pas des juges. Vous êtes des charognards ! Ce n’est pas mon crime qui est en cause, ce n’est même pas ma personne, c’est ma fortune et elle seule. Ce sont mes terres, mes châteaux, mes forêts, mes fermes, mes coffres, l’or que vous soupçonnez qu’ils contiennent. Si j’étais pauvre, croyez-vous que je serais ici pour répondre de prétendus assassinats et autres hérésies ? Non, si j’étais pauvre, je serais à cette heure libre comme l’air, parce que tous ici présents vous vous souciez des crimes et des hérésies comme d’une guigne. Mais il s’agit d’autre chose. D’une chose autrement sérieuse que des crimes et des hérésies. Il s’agit d’un immense butin que vos narines frémissantes subodorent. Tous, vous avez déjà trempé dans des manœuvres sordides destinées à me dépouiller. Derrière des prête-noms transparents, vous avez négocié l’achat de tel ou tel de mes biens à des conditions fabuleusement profitables. Non, vous n’êtes pas des juges : vous êtes des débiteurs. Je ne suis pas un accusé : je suis un créancier. Moi disparu, vous vous disputerez mes restes, comme des chiens après la mort du cerf s’arrachent ses tripes et ses boyaux. Eh bien, je dis non ! Je récuse votre présence. J’en appelle à l’autorité supérieure. Retirez-vous ! Sortez d’ici ! »
    Cette attaque furieuse venant d’un seigneur aussi prestigieux que Rais déconcerta les juges. Un mouvement d’hésitation parcourut leurs rangs. Finalement l’un d’eux se leva, imité bientôt par les autres. Atterrés, ils sortirent piteusement, les uns derrière les autres…

22
 
    L’audience suivante eut lieu le surlendemain, samedi 15 octobre. Ce qui se passa ce jour-là n’est intelligible que si l’on a présente à l’esprit la foi inébranlable de Gilles de Rais. Non moins que Jeanne – et comme la plupart des hommes et des femmes de ce temps – il vit de plain-pied avec le ciel, et l’Église est sa mère. C’est d’ailleurs ce qu’il clame dès l’ouverture de l’audience :
    — Je suis chrétien, vous m’entendez, chrétien ! Comme vous, j’ai été baptisé, et donc lavé du péché originel, replacé entre les mains de Dieu. Et j’ajoute que je me suis confessé et que j’ai reçu l’absolution de la bouche du père Eustache Blanchet, la veille de mon arrestation. Tel que vous me voyez, messieurs mes juges, je suis blanc et pur comme l’agneau qui vient de naître.
    Mais il a affaire à des théologiens plus rusés et plus puissants que lui. Jean de Blouyn lui oppose un distinguo subtil propre à lui brouiller les idées.
    — Tu dis : je suis chrétien. Mais on n’est pas chrétien. Personne ne peut se vanter d’être chrétien, si ce n’est Christ lui-même. On s’efforce tout au plus de le devenir. C’est un idéal inaccessible.
    Voilà pour la ruse. La puissance va parler par la bouche de Jean de Malestroit :
    — En revanche tu ne prétends pas être catholique, et là, pour une fois, tu ne te trompes pas, seigneur de Rais ! Car si tu fus jamais catholique, tu as cessé de l’être, sache-le bien.
    — J’ai cessé d’être catholique ?
    — Parfaitement, tu as cessé d’être catholique. En vertu d’un décret d’excommunication pris ici même, au jour d’hier, envers toi, à l’unanimité des présents. Tu es excommunié, Gilles de Rais, rejeté de la communauté dans les ténèbres extérieures.
    Excommunié ? Ce mot frappe Gilles comme la foudre. L’excommunication est pire que la mort, puisqu’elle débouche sur la damnation éternelle. L’âme ne peut se passer de la protection de l’Église pour triompher des embûches du Malin.
    Gilles pousse un hurlement de colère et de douleur.
    — Moi ? Excommunié ? Vous n’avez pas le droit ! L’Église est ma mère. J’en appelle à ma mère ! J’ai droit à sa présence, à son assistance, à sa chaleur. Je ne suis pas un orphelin. Je ne suis pas un enfant abandonné. Je ne veux pas avoir froid loin du sein de ma mère. Au secours ! Au secours !
    Et on le voit se précipiter vers ses juges et se jeter en pleurant dans les
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