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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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Mais le malheur était mûr en cette vie.
    Le château de Saint-Etienne-de-Mermorte lui avait été acheté une bouchée de pain par Geoffroy le Féron. Gilles en avait gardé un amer ressentiment. Sa colère éclata quand il apprit que le nouveau maître des lieux en agissait sans douceur avec les paysans se trouvant en retard d’impôts, alors que lui-même n’avait pas réglé sa dette. Le dimanche 15 mai 1440, jour de la Pentecôte, Gilles et ses hommes se ruent à l’intérieur du château en bousculant un vieux concierge qui tente de s’interposer. Non, Geoffroy n’est pas là. En revanche son frère Jean célèbre la messe en l’église voisine. Gilles se précipite dans la nef, arrache le prêtre à l’autel, le jette à terre et menace de l’étrangler. Finalement il le couvre de liens et l’emmène en captivité. Ce coup de force brutal acheva de décourager ses partisans.
    Prière prononcée par Francesco Prelati à la suite de ces événements :
     
    Seigneur Barron, tu m’es témoin que je n’ai rien négligé pour élever cet homme jusqu’à ton seuil sublime. Je n’ai quitté ma Toscane natale que pour venir convertir sa violence en ferveur et ses bas appétits en élans vers ta face auguste. Je pensais y être parvenu. Et sans doute y étais-je parvenu : ne sacrifiait-il pas désormais les enfants, non par basse volupté, mais à seule fin de t’offrir leurs dépouilles en holocauste ! Et puis voilà ! Regarde-le qui vient de faire violence à un prêtre officiant et qui l’entraîne en captivité dans ses ornements, sans même savoir ce qu’il va en faire ! Et cela sous le prétexte d’une poignée d’écus et pour quelques manants pendus ou mis à la question ! Seigneur Barron, je confesse que grande est ma déception et que j’incline fortement à abandonner le sire de Rais au sort funeste qu’il se forge de ses propres mains…
     
    Le fait est que l’isolement de Gilles ne fit que s’aggraver au cours des semaines qui suivirent, de telle sorte qu’il se trouvait abandonné à Machecoul ce 14 septembre 1440 quand des troupes armées venues de Nantes investirent la place. Le maître des lieux était hirsute et hagard, accroupi contre le mur d’une des salles vides du principal corps, lorsque les trompettes retentirent pour annoncer la première citation lue par le notaire Robin Guillaumet :
     
    Nous, Jean Labbé, capitaine d’armes, agissant au nom de Monseigneur Jean V, duc de Bretagne, et Robin Guillaumet notaire, agissant au nom de Monseigneur Jean de Malestroit, évêque de Nantes, enjoignons à Gilles, comte de Brienne, seigneur de Laval, de Pouzauges, Tiffauges, Machecoul, Champtocé et autres lieux, Maréchal de France et Lieutenant général de Bretagne, d’avoir à nous donner sur l’heure accès en son château et à se constituer prisonnier entre nos mains pour avoir à répondre devant les juridictions religieuses et civiles de la triple inculpation de sorcellerie, sodomie et assassinat.
     
    Un silence répondit peuplé par le seul cri des corbeaux qui se disputaient une carcasse dans les douves. Puis les trompettes éclatèrent à nouveau pour souligner la deuxième et la troisième citation.
    Enfin Gilles se leva comme un somnambule, et commença à parcourir les galeries désertes de la forteresse en hurlant les noms de ses compagnons : Prelati, Blanchet, Henriet, Poitou… Il n’y avait plus personne. Tous avaient fui. Alors, après des cris et des larmes, il se ressaisit. Il s’habilla, s’arma, et c’est en grand uniforme de maréchal de France qu’il apparut, après avoir fait rouler le grand portail sur ses gonds. Son aspect était si imposant, qu’il y eut d’abord un malentendu. Les hommes de Jean de Malestroit, croyant que le sire de Rais les attaquait à la tête d’un détachement, s’enfuirent en désordre. Mais non, stupeur ! Il est seul. On l’entoure peureusement. Il remet son épée au commandant de la troupe. On lui amène un cheval. On l’aide respectueusement à se mettre en selle. Le cortège s’ébranle, mais on dirait qu’il s’agit de ses hommes, et qu’il reste le chef et le seigneur.
    Arrivé dans la cour du palais ducal de Nantes, des valets l’accueillent et le mènent dans l’appartement de la Tour Neuve qui lui a été préparé. Il se déshabille, revêt l’habit blanc des Carmes, puis s’agenouille sur un prie-Dieu, et médite, la tête dans les mains.
    Pour Jean de Malestroit, évêque de Nantes,
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