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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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nuit sous les combles de Tiffauges dépasse en horreur ce que l’imagination la plus dépravée peut concevoir. Le maître et le serviteur – mais qui menait ce jeu maudit, qui obéissait ? – avaient fait le vide autour d’eux, et à part deux hommes de main, Henriet et Poitou qui couraient la campagne et hantaient le laboratoire – nul ne savait ce qui se tramait. Pourtant des rumeurs sinistres couraient le pays, et le jour de la Saint-Nicolas {4} un intrus de marque perça leur secret.
    Gilles et Prélat étaient penchés sur les travaux sublimes de la transmutation, quand un soldat fit irruption dans les combles. Prélat fut d’un bond sur lui, pour l’empêcher de voir ce qui se passait.
    — Maraud ! cria-t-il, tu risques ta tête ! L’entrée de ces lieux est formellement proscrite, tu le sais pourtant ?
    — Seigneur, balbutia l’homme, c’est le père Blanchet qui m’envoie. Une troupe. Une troupe nombreuse et riche chemine vers le château. Dans moins d’une heure ils seront là.
    — C’est bien, va-t’en, gronda Prélat en le poussant dehors.
    Il paraissait accablé tandis qu’il parcourait des yeux la pièce encombrée de tous les vaisseaux chargés de liqueurs, prêts à appareiller pour l’au-delà. Puis il ramassa une barre de fer, et commença à briser cornues, bocaux, cucurbites. Gilles le crut devenu fou.
    — Que fais-tu donc ? C’est la fin du monde ?
    — Dans un sens, oui, répondit Prelati. Il faut tout détruire. Il faut que tout disparaisse.
    Et il frappait, frappait. Le mercure se répandait sur les dalles en nappes d’argent. Des grimoires se tordaient en noircissant dans la forge.
    — Mais enfin, m’expliqueras-tu ?
    Prelati s’arrêta un instant.
    — Hélas, seigneur Gilles, cette troupe qui s’avance vers Tiffauges, je la connais. Depuis une semaine je fais surveiller son cheminement par mes hommes, et j’espérais qu’elle nous épargnerait sa visite. Eh bien voilà : dans une heure ils seront là. Rien ne pourra les arrêter, les beaux messieurs de la cour.
    — Les messieurs de la cour ?
    — Le dauphin Louis, le futur Louis le Onzième, si je compte bien. Il n’a que seize ans, mais il a la réputation d’une âme retorse dans un corps chétif. Déjà il intrigue contre son père, le roi Charles.
    En effet, le dauphin Louis a fait sa résidence du château de Montaigu. Le roi l’a envoyé en Poitou avec pour mission officielle de mettre fin aux exactions de gens de guerre malades de la paix, en vérité pour l’éloigner de la cour.
    — Ce chat maigre est un bigot, poursuit Prelati. Il se couvre de médailles et de reliques. Son long nez ne connaît que deux odeurs : l’odeur de sainteté et l’odeur de fagot.
    Plus tard le Dauphin marche d’un pas circonspect dans les salles du château, accompagné par Gilles et sa suite. Il flaire, semble-t-il, un air qui ne lui paraît pas catholique. Il s’arrête devant une cheminée où fument des lambeaux de parchemin et des débris d’os.
    — Qu’est donc cela ? s’étonne-t-il. Pourquoi les cheminées fumaient-elles à torrents tout à l’heure comme nous approchions de Tiffauges ?
    Gilles s’efforce de l’entraîner, mais il résiste et s’absorbe dans la contemplation d’un fragment de cornue.
    — Il y a comme une odeur de soufre dans ces murs…
    — Monseigneur, c’est la vapeur qu’on emploie pour chasser la vermine, s’empresse le Florentin.
    — La vermine, vraiment ? dit Louis en regardant avec insolence Gilles, Prelati et les hommes du château.
    Puis il reprend son inspection à petits pas, en poursuivant comme pour lui-même :
    — Il y a en effet beaucoup de vermine au royaume de France. Mais elle n’est pas de la sorte qui s’extermine avec des vapeurs de soufre. Il y a, il est vrai, une vermine d’un genre particulier qui se détruit elle-même par ses propres poisons. Il n’est que de la laisser faire.
    Lorsque le cortège, lentement reformé, s’éloigne en silence, on n’entend que les appels rauques des choucas tournoyant autour du donjon. Mais Gilles et ses compagnons ont la certitude qu’une menace mortelle pèse désormais sur eux.

18
 
    On a voulu que le coup de main exécuté par Gilles de Rais sur Saint-Étienne-de-Mermorte fût d’un poids décisif dans son arrestation et l’ouverture de son procès. Sans doute, selon une logique primaire et superficielle qui cherche pour chaque effet une cause et pour chaque cause un effet.
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