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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé
Autoren: Jean-Pierre Charland
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comprends très bien. Le salaire de ces deux mois couvrira mes petites dépenses pour toute l’année.
    Le garçon se montrait bien optimiste. En réalité, au fil des semaines, il lui demanderait régulièrement un dollar pour ses sorties. Au mieux, sa rémunération de l’été lui permettrait de s’acheter des vêtements un peu élégants, susceptibles de flatter sa silhouette, et des livres.

    — Ah ! Si ton père avait plus de courage. Ça fait trois ans que Picard lui refuse une augmentation. Tu as une idée, toi, de l’évolution des prix depuis trois ans ?
    Jacques s’épargna la peine de faire le calcul. À lui aussi, en regard de l’inflation, il semblait que le revenu familial tendait à décroître au fil du temps. Un sursaut de pudeur empêcha Thérèse de préciser que depuis avril de l’année précédente, le versement de la somme couvrant toutes les dépenses du garçon avait cessé. Elle avait eu beau plaider de toutes ses forces, jamais Fulgence n’avait accepté de protester auprès du notaire de la Haute-Ville.
    «Nous avons signé un contrat, rappelait-il. Selon ce document, le paiement se terminait le jour des dix-huit ans de Jacques. Le bienfaiteur a respecté son engagement, maintenant c’est à nous de respecter le nôtre. »
    Par ces mots, Fulgence signifiait sa détermination de payer les études de son fils jusqu’au terme de sa licence en droit.
    — Ce soir, si tu veux, je te mettrai du liniment, reprit la mère en revenant près du poêle.
    — Non, ce ne sera pas nécessaire.
    Un moment, le garçon imagina Germaine Huot lui offrant la même attention. Dans ce cas, la réponse aurait été différente.
    — Papa n’est pas encore rentré ? demanda-t-il encore.
    — Non, comme d’habitude, il nous fait attendre.
    Que cela soit pour faire vivre sa famille ne lui procurait aucune circonstance
    atténuante
    aux
    yeux
    du
    magistrat
    domestique. Le garçon se décida à passer par la salle de bain afin de se laver un peu avant le repas.
    En cette saison, le soleil se couchait tard, et le ciel bleu tournait lentement à l’indigo. Limoilou formait une banlieue besogneuse située juste au nord de la rivière Saint-Charles. A neuf heures,
    des
    familles
    entières
    s’alignaient
    sur
    les balcons donnant sur les rues, évoquant déjà le désir d’aller dormir, car demain, comme aujourd’hui et tous les jours de l’année, la journée serait longue, plus de dix heures de labeur pour la plupart.
    Jacques Létourneau préférait se tenir seul à l’arrière de la maison, assis sur la troisième marche du petit escalier donnant dans la cour. Toutes les demeures jouissaient d’un espace assez vaste à l’arrière. La nature ayant horreur du vide, ces terrains encadrés par des clôtures improvisées, construites en planches récupérées à la décharge publique, servaient parfois de potager. A l’odeur, on devinait que certains autres devenaient des dépotoirs domestiques, parfois au point de mériter une intervention des autorités municipales après les plaintes de voisins au nez plus sensible.
    Le plus étrange dans ces arrière-cours était les hangars branlants, construits avec des matériaux récupérés. Dans le cas des maisons d’habitation de trois étages, les hangars s’empilaient à la même hauteur. On y trouvait un bric-à-brac indescriptible...
    et
    parfois
    aussi
    des
    habitants.
    Des
    personnes particulièrement démunies trouvaient là un logis sans eau courante ni électricité. Des cultivateurs ruinés attirés par la promesse d’un emploi en ville s’y terraient pendant les quelques semaines de leur premier été. Les citadins particulièrement misérables allaient y passer leurs derniers mois, le temps d’une agonie.
    — Jacques... murmura une voix.
    Il fallut un moment au garçon avant de distinguer la silhouette de la jeune fille de seize ans dans la ruelle, entre les planches espacées de trois ou quatre pouces de la clôture.
    Seules la tête et les épaules apparaissaient au-dessus.

    — Bonsoir, Juliette. Je ne t’avais pas vue.
    — Tu rêvais éveillé, je suppose.
    Elle devinait juste. Quand l’étudiant n’occupait pas son esprit à la lecture, il le laissait s’éloigner de ce cadre de vie médiocre. Sans pouvoir se l’expliquer, il se sentait étranger à cet environnement où il vivait pourtant depuis toujours.
    Cela tenait sans doute à sa mère qui lui distillait ses rêves de grandeur à l’oreille depuis sa plus tendre
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