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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé
Autoren: Jean-Pierre Charland
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enfance.
    — Tu ne m’invites pas à m’asseoir près de toi ? continua la petite voix.
    Elle se contenta d’un long silence pour toute réponse.
    Enfin, pour en atténuer la cruauté, son interlocuteur fit un geste vague vers la maison derrière lui, comme s’il devait rentrer tout de suite. Cette attitude aussi, il la devait à Thérèse Létourneau. Les filles de Limoilou s’avéraient sans doute jolies, gentilles, mais elles n’étaient pas pour lui, répétait-elle.
    «Tu peux trouver infiniment mieux qu’une employée de manufacture ou de magasin», lui répétait-elle depuis sa prime adolescence.
    Comme toutes les autres jouvencelles se tenaient hors de sa portée, cela revenait aussi à dire qu’elle entendait le garder pour elle. Jacques n’était pas dupe des manigances maternelles, et sagement il ne retenait de ses directives que celles lui convenant très bien. Les beautés de la Basse-Ville lui donneraient satisfaction d’ici la fin de ses études. Après, il verrait bien où la vie le mènerait.
    Le garçon gardait les yeux fixés sur la silhouette fragile.
    Dans l’obscurité croissante, il devinait les traits du petit visage - il lui avait toujours trouvé une ressemblance avec une souris -, les cheveux très fins descendant un peu sous les oreilles. Comme à son habitude, elle devait porter une petite robe toute simple, taillée et cousue par sa mère dans le tissu le moins cher sur le marché.
    Intimidée, elle changea de position à quelques reprises, comme pour trouver une contenance, puis risqua :
    — Tu viens jouer ?
    De la tête, d’un geste bien vague, elle désigna les hangars de part et d’autre de la cour arrière des Létourneau. Ils n’abritaient pas que des meubles branlants, des matelas envahis de vermine et parfois des miséreux, mais aussi des conciliabules dont le récit troublait fort le bon curé de la paroisse Saint-Charles.
    Les jeunes filles de la Basse-Ville représentaient un divertissement agréable, Jacques en convenait volontiers.
    Mais donner une trop grande préséance dans ses jeux à la même compagne conduirait celle-ci à se faire des idées.
    Un bruit venu de la maison lui offrit une dérobade.
    — C’est à cette heure-ci que tu reviens, fit une voix dans la cuisine.
    Cela agit comme un signal sur le garçon. Il se leva en disant :
    — Je dois rentrer.
    Le «Bonsoir, Jacques» de la jeune fille se perdit dans son dos, imperceptible. Elle demeura un moment immobile, à se mordre nerveusement la lèvre inférieure. Les jeux de mains partagés avec ce garçon, poussés au point que ni l’un ni l’autre n’ignorait plus les mystères de l’anatomie de l’autre sexe, ne lui avaient pas permis de mettre le grappin dessus. Ses collègues de l’atelier devaient avoir raison : si l’on accordait trop de liberté à un garçon, celui-ci cessait de vous respecter. Mais bien sûr, aucune d’entre elles ne s’était retrouvée seule dans un hangar désert avec un aussi beau jeune homme.

    —J’aimerais bien les y voir, ces saintes-nitouches !
    cracha-t-elle avec dépit en s’éloignant de la clôture.

    Chapitre 2

    De retour dans la maison, surtout afin de mettre un terme aux récriminations maternelles, Jacques fit remarquer à l’intention de son père :
    — Tu as travaillé très tard.
    — Nous avons encore eu un bris de machine. Avec un matériel pareil, nous ne pouvons faire de la qualité, ni de la quantité.
    — Les moulins sont là depuis l’ouverture.
    Tout en parlant, Jacques avait pris l’assiette dans le réchaud au-dessus du poêle. Comme le feu s’était éteint près de deux heures plus tôt, elle était froide. La pièce de viande dans la graisse figée lui paraissait à peine mangeable.
    Il la déposa tout de même à la place du chef de famille à la table, pour s’installer ensuite sur la chaise voisine. Avant de s’asseoir aussi, l’homme enleva sa veste pour l’accrocher à un clou, il desserra un peu sa cravate, détacha les boutons de ses manches pour les retrousser sur ses avant-bras.
    — Ce soir, dit-il en prenant la fourchette dans une main, le couteau dans l’autre, je suis resté si tard pour préparer un plan d’affaires pour les ateliers.
    La justification était surtout destinée à sa femme, assise sur une chaise berçante près de la fenêtre. La matrone resta sans réaction, comme si cela ne pouvait en rien excuser son retard.

    — Tu comprends, poursuivit-il, si nous ne fournissons pas des
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