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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé
Autoren: Jean-Pierre Charland
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apparence physique et le brin de philosophie avec une moue des lèvres ressemblant à un baiser. Ils arrivaient sur le palier du second étage. Son collègue posa l’extrémité du buffet sur le plancher, puis se tourna à demi pour frapper à la porte de l’appartement.
    Une femme d’une trentaine d’années vint ouvrir, un petit garçon dans les bras.

    — Vous voilà enfin, dit-elle en guise d’accueil.
    — Exactement à l’heure annoncée sur votre facture, rétorqua l’employé.
    Il mentait un peu. Déjà, depuis le matin, ils avaient accumulé un léger retard.
    — Vous expliquerez ça à ce jeune homme, rétorqua la ménagère en désignant son enfant des yeux. Le faire manger assis dans le salon, sur le chesterfield, nous expose à de gros dégâts.
    Le bambin ne broncha pas devant cette accusation, comme s’il acceptait déjà d’être responsable de la plupart des dégâts pour de nombreuses années encore.
    — Mais il ne fallait pas vous débarrasser si vite de vos vieux meubles, remarqua le livreur, philosophe.
    Son interlocutrice ne jugea pas utile de lui expliquer que dans le processus de réaménager son intérieur, deux opérations se révélaient également gratifiantes : faire le vide de ses vieilles choses, et recevoir les nouvelles. Idéalement, les deux devaient se succéder très vite, mais les services de livraison en décidaient souvent autrement.
    — Vous faites souvent la conversation aux clientes en laissant votre collègue porter seul tout le poids d’un gros buffet ? demanda-t-elle plutôt, une pointe d’ironie dans la voix. Son charme valait toujours au nouvel employé des remarques attentionnées de la part des clientes. Chaque fois, il répondait d’un sourire.
    — Le poids porte sur le plancher, madame. Ce jeunot pourrait lâcher prise sans risque. Mais si vous nous dites où le mettre, la manœuvre ira plus vite.
    De son bout du buffet, Jacques se priva du plaisir de préciser que sans sa présence attentive, l’assemblage de planches en chêne dévalerait l’escalier. La ménagère coinça la porte de l’appartement avec une grosse chaussure masculine traînant dans l’entrée, puis elle se dirigea vers la cuisine en disant:
    — Suivez-moi.
    L’étudiant se résolut à devoir porter seul à peu près tout le poids du fardeau, le temps de monter les trois dernières marches. Une fois sur le palier, la répartition devint plus équitable. Excepté les portes et les couloirs, toujours un peu trop étroits, transporter le meuble dans la cuisine ne posa aucun problème.
    — Vous pouvez le mettre là, dit la cliente en désignant le seul mur libre d’un mouvement de la tête.
    Les deux hommes obtempérèrent, puis descendirent chercher la table. Moins lourd, l’objet s’avérait toutefois plus encombrant. Quand ils revinrent dans la pièce, la femme avait posé son enfant sur le plancher pour commencer à placer
    sa
    vaisselle
    dans
    sa
    nouvelle
    acquisition.
    Un trajet supplémentaire leur permit de monter quatre chaises.
    — Va chercher les deux autres, pendant que je fais signer à madame le bon de livraison de son beau set de cuisine.
    Au bout de la journée, Jacques aurait fourni largement plus que sa part de l’effort physique.

    *****
    — Monsieur Létourneau, cria une voix pour couvrir le vacarme d’une quarantaine de machines à coudre, c’est encore cassé.
    L’homme leva la tête de sa commande de tissu. Il se trouvait dans un petit cubicule vitré à l’extrémité d’un grand atelier. Papiers et échantillons y encombraient les classeurs, la chaise des visiteurs, le bureau et même le plancher. Le tout donnait
    une
    impression
    de
    négligence.
    En
    réalité,
    l’homme ne suffisait tout simplement plus à la tâche.
    Il quitta son siège pour se diriger vers l’employée, une grosse matrone dans la quarantaine.
    — Que se passe-t-il, madame Champagne? demanda-t-il.
    — La machine a fonctionné pendant tout l’avant-midi.
    Mais après dîner, elle a tourné tout au plus dix minutes.
    — Qu’avez-vous fait ?
    La question contenait un soupçon implicite. L’autre éleva encore un peu la voix pour rétorquer, sur la défensive :
    — Qu’est-ce que j’ai fait? Coudre des robes, comme tous les jours. Enfin, tous les jours où cette maudite machine veut bien fonctionner.
    La pauvre dame avait raté la moitié de la semaine de travail précédente à cause d’un premier bris. Ceux-ci étaient si fréquents que Fulgence avait
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