Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
plus vicieux que bateleurs de
Paris ? Silence, j’ai dit ! Le premier qui, à cette table, ose ouvrir
la gueule tant que prière ne sera dite, je lui fais voler la tête en
pièces !
    Le silence se fit alors, et le Baron
dit :
    — Termine, moine !
    — Mais j’ai fini, dit le moine.
    — Amen ! cria alors le
Baron de Caudebec, et tous, hommes et garces, firent écho dans une hurlade à
ébranler la maison. Après quoi, fort soulagés, ils se ruèrent comme loups
dévorants sur les viandes, avalant hardiment jambon de Baïonne, pintade rôtie,
omelettes aux truffes, saucisses de Bigorre, truites de torrent, et quantité
d’autres mets pour lesquels l’auberge des Deux-Anges était fort renommée
dans le pays thoulousain. Tandis qu’ils branlaient ainsi des mâchoires, une
bonne dizaine de chambrières, brunes et, comme j’ai dit, de bonne charnure et
peu farouches, couraient de l’un à l’autre, versant du haut de leurs pichets,
avec des ris et des trémoussements, des flots de nos bons vins de Guyenne dans
les gobelets avides.
    — Voilà, dit l’alberguière en
se relevant du sol et en remettant son parpal en place, voilà, reprit-elle avec
contentement, son œil vif et pointu parcourant la table, des dents fort aiguës
et des gorges bien sèches.
    — Et demain des chiffres bien
gras sur votre ardoise, ma commère, dis-je en riant et en m’époussetant.
    — Chut, mon noble Moussu !
dit l’alberguière, sa bouche à mon oreille, et fort inutilement, vu que la
langue d’oc était de nos hôtes si déconnue. Ces bons Normands me paraissent
fort étoffés. Avez-vous vu les bracelets d’or de ces grandes garces ?
Moussu, ne languissons pas céans, je me dois aux cuisines. Faites comme nous
avons dit. Pour moi, reprit-elle (et disant cela, elle pétilla de l’œil, sa
main potelée pétrissant mon bras), j’aurai l’occasion de vous retrouver en
quelque coin ou recoin de ma maison, de jour ou de nuit, mais toujours
humblement à votre service.
    Ayant dit, elle me fit une profonde
révérence, mais cette fois la main sur son gracieux parpal pour éviter qu’il
s’échappât une fois encore de son logis devant cette pieuse assemblée.
    — Monsieur, cria le Baron de
Caudebec, pointant vers moi le pilon d’une pintade et roulant en me regardant
un œil bleu dans une trogne rougeâtre, qui êtes-vous pour oser troubler ainsi
nos saintes oraisons ? Si vous n’étiez si jeune, je vous passerais céans
et sur l’heure ma rapière au travers du foie !
    — Monsieur le Baron de
Caudebec, dis-je dans le français de Paris et en le saluant, mais point jusqu’à
terre, de grâce épargnez mon foie, bien qu’assurément je nie qu’il soit le
siège de la pensée, comme le tenaient à tort les doctes de Babylone. Je me
nomme Pierre de Siorac, je suis fils cadet du Baron de Mespech, en Périgord. Je
vais en Montpellier étudier la médecine, et je viens céans m’offrir à vous pour
être votre truchement, vu que j’entends la langue d’oc.
    — Holà ! s’écria Caudebec,
élevant son pilon vers le ciel. Les saints du Paradis vous envoient !
Page, une escabelle ici pour ce gentilhomme ! Près de moi ! À ce
bout ! Vous me sauvez, mon ami ! Je suis plus perdu en ces provinces
que chrétien chez les Maures ! Ces rustres n’entendent pas ma
langue !
    Je tirai vers lui, et quand je fus
proche, le Baron me fit l’honneur de se lever et, courtoisement, de m’accoler
avec de lourdes tapes sur l’épaule et le dos dont bien je me serais passé, tant
ses grandes mains étaient fortes. Grand, il l’était, de reste, de son corps
entier, le cou comme une tour, les épaules carrées, le poitrail bombé. Et avec
cela, le poil blond, la moustache fournie, effilée et tombante, l’œil bleu,
comme j’ai dit, en trogne cramoisie, richement vêtu, en outre, mais le
pourpoint quelque peu gâté, pour ce qu’il mangeait comme un Turc, jetant
derrière lui les os qu’il avait rongés, et s’essuyant les doigts sur les cottes
et jupons des chambrières qui passaient à portée de bras, et n’osaient trop le
réganier, tant il grondait et sourcillait au moindre rebiquement, menaçant la
drolette de découper ses tétins en lamelles si elle bronchait. Ceci était dit
en français, où elle n’entendait miette, mais l’œil et le ton suffisaient.
S’étant alors essuyé de ses sauces, et les doigts et les moustaches, le Baron
ne laissait pas de pastisser quelque peu la croupière de la
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher