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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années
Autoren: Robert Merle
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dans un combat où il ne
servirait à rien de vaincre si l’un de nous était navré, mais dans la fuite, où
la vélocité supérieure de nos montures nous assurerait l’avantage. Conseil de
poids, car prudence, chez Miroul, n’était point fille de lâcheté. Fluet, mais
agile au point de grimper le long d’un mur comme mouche avec ses pattes, et son
coup de pique partant dans la lutte aussi roide et vif que carreau d’arbalète,
il valait trois soldats à lui seul. Qu’on ne me croie pas ici gasconnant :
je ne dis que le vrai. Et d’ailleurs, on le verra bien.
    Quant au moment de ce voyage, il
pourra surprendre, étant si précoce, les cours à Montpellier ne commençant qu’à
la Saint-Luc [1] ,
mais bien avais-je compris que l’intention de mon père, en le décidant si tôt,
était de me guérir de la grande mélancolie où j’étais tombé après la mort de la
petite Hélix, ma sœur de lait. Elle s’était, un mois plus tôt, endormie dans le
Seigneur après de grandes souffrances, en la fleur de ses dix-neuf ans. Or je
l’aimais de fort grande amitié, malgré la modestie de son état et les
sourcillements de mon aîné François, resté, lui, pour l’heure, à l’abri de nos
murs, en attendant de devenir Baron quand le Créateur rappellerait mon père à
lui. Et attendre, François le pouvait, certes, et de longues années encore,
Dieu merci, tant mon père, à cinquante ans passés, était vif et vigoureux,
ayant enlevé, un an plus tôt, Franchou – la chambrière de sa défunte
épouse – dans le faubourg de la Lendrevie, aux portes de Sarlat infecté de
peste, et l’épée à la main, faisant face, Samson et moi à ses côtés, à une
bande de gueux sanguinaires.
    Huguenot, je l’étais, certes, mais
je l’étais moins que mon frère Samson, point nourri comme lui, dès le premier
souffle, dans la religion réformée, ma mère m’ayant élevé dans la religion
romaine. À son lit de mort – converti que j’étais pourtant, depuis l’âge
de dix ans, à la nouvelle opinion, par mon père et selon une pression qui ne
fut pas petite –, ma mère m’avait baillé une médaille de Marie, exigeant
de moi le serment de la porter jusqu’à ma propre fin. Ainsi, professant la
religion réformée, je portais autour du col, fidèlement, l’image et comme le
symbole de la religion catholique.
    Est-ce pour cela que les
familiarités où la petite Hélix m’avait, de son vivant, entraîné en la douceur
de nos nuits amicales, me paraissaient beaucoup moins damnables qu’elles ne
seraient apparues à mon demi-frère Samson dont la grande beauté s’alliait à une
vertu farouche, encore qu’il fût la preuve vivante, lui qui avait été conçu
hors mariage, que mon père, tout huguenot qu’il fût, pouvait errer hors des
droits chemins, sans que le Seigneur visitât de sa colère le fruit de son
péché – ni d’ailleurs, le pécheur lui-même, tant étaient grandes la prospérité
de Mespech et les richesses que la bonne économie huguenote et l’adroit ménage
de nos champs y avaient accumulées.
    Mon père n’avait voulu que nous
passions, pour gagner Montpellier, par les montagnes du centre, où les embûches
des gueux eussent été si faciles. Il avait préféré qu’après Cahors et Montauban
nous prenions par Thoulouse, Carcassonne et Béziers, où la route courait en
plaine et, bien qu’assurément plus longue, était aussi plus sûre, en raison de
la grande affluence des gens qui y chevauchaient ou y menaient charrois.
Cependant, au milieu à peine de notre chemin, logeant dans un faubourg de
Thoulouse, à l’auberge des Deux-Anges, nous apprîmes par l’alberguière
(une accorte veuve) que quinze jours plus tôt, un convoi marchand, pourtant
bien défendu par trois hommes d’escorte, s’était fait piller et massacrer entre
Carcassonne et Narbonne par une forte bande qui avait ses repaires dans les
monts des Corbières.
    Cette fâcheuse nouvelle nous donna
fort à penser, et dans la chambre des Deux-Anges, où nous étions, Samson
et moi, retirés – Miroul ayant son lit dans un petit cabinet
attenant –, nous en devisâmes, assis tous trois en rond sur nos
escabelles, Miroul un peu en retrait et tenant sur ses genoux sa viole dont il
tirait entre-temps des sons lugubres pour accompagner nos alarmes. Car nous ne
savions à quel saint, diable incube ou succube nous vouer, n’osant point
poursuivre notre chemin en tel imminent péril, et moins encore en
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