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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années
Autoren: Robert Merle
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écrire à
notre père, dont la réponse ne pourrait avant quinze jours nous parvenir.
    — Quinze jours en l’auberge des Deux-Anges ! s’écria Samson en secouant ses beaux cheveux de cuivre.
Ce serait ruine de bourse, oisiveté coupable, tentation du malin…
    Ici, Miroul, me regardant, pinça
trois fois sa corde pour souligner le triple danger qui guettait en ces lieux
nos vertes années. Et je fus étonné, quant à moi, que même au candide Samson,
il n’eût point échappé que les brunes et rondelettes chambrières qui servaient
dans l’auberge en nombre surérogatoire n’étaient point de mine à se modeler sur
les deux anges de l’enseigne, lesquels, à vrai dire, n’avaient guère mérite à
leur vertu, étant découpés dans du fer.
    J’allais répondre à cette remarque
quand, sur la dernière note de Miroul, éclata tout soudain dans la rue de la
Mazelerie, où l’auberge était sise, un fort grand tumulte de sabots de chevaux,
de jurons et de cris. Je tirai vers la fenêtre (il me fallut l’ouvrir pour
voir, car elle était, comme toutes celles de la rue, garnie non de verre, mais
de papier huilé). Samson m’y suivit, et Miroul, sa viole à la main, et dans le
soir tombant nous vîmes, sautant sur le pavé luisant du haut de grands chevaux
bais à grosses croupes et longues queues, une bonne cinquantaine de voyageurs,
hommes et femmes, en vêture poussiéreuse, mais de vive couleur et bonne étoffe,
armés qui d’une arquebuse, qui d’une pistole, qui d’une épée, les donzelles et
commères ayant grande dague en leur mœlleuse ceinture, et portant, contre le
soleil des provinces du Midi, des couvre-chefs aussi grands que des boucliers.
Les uns et les unes étaient d’âge et de condition divers, mais fort grands,
l’épaule robuste, le cheveu paille, l’œil bleu, d’aucuns et d’aucunes
toutefois, comme je le remarquais, d’un tout autre type, petits, trapus, noirs
de peau et de poil, mais tous et toutes, blonds et bruns, si contents de
démonter et de trouver gîte, qu’ils criaient et clabaudaient à oreilles
étourdies, la trogne rouge, la voix enrouée, riant à gueule bec, et dans la
liesse de se retrouver à terre, se poussant, se pastissant, s’accolant, se
donnant fortes tapes sur épaules et sur cul, ou encore hurlant pour
s’entr’appeler d’un bout à l’autre de la rue, et s’égosillant à se rompre le
gargamel – leurs grands chevaux, cependant, fumant de sueur, tapaient du
sabot et, secouant leurs blondes crinières, hennissaient après leurs avoines à
vous tympaniser. Bref, gens et bêtes menaient, en cette rue de la Mazelerie,
tel tapage et inouï vacarme que vous eussiez cru une armée de croquants
révoltés assiégeant la Maison de Ville.
    Tout le bon peuple thoulousain du
faubourg était, comme nous-mêmes, en poste aux fenêtres, béant, muet, l’œil
quasi sorti de l’orbite, et l’ouïe fort étonnée, car les nouveaux venus
braillaient une étrange sorte de parladure, où des mots français (mais non point
parlés dans l’accent pointu de Paris) se mêlaient à un jargon où pas un fils de
bonne mère n’entendait goutte.
    La troupe, enfin, s’engouffra en
infinis bousculade et tumulte dans l’auberge, tandis que les valets accouraient
pour se saisir des chevaux et les mener aux écuries, non sans faire des cris
d’admiration de la grosseur de leurs poitrails et de la puissance de leurs
croupes. Sous nos pieds, bien que nous fussions au deuxième étage des Deux-Anges, la hurlade continuait, et si forte qu’on eût dit que les murs
branlaient. On frappa un coup à notre porte, et Samson et moi étant fort
occupés à la fenêtre à regarder les chevaux, je dis à Miroul d’ouvrir. Ce qu’il
fit, sa viole à la main, car il ne la quittait mie, même en sa couche.
    Apparut alors – je la vis du
coin de mon œil senestre tout en contemplant les montures – l’alberguière
elle-même, brune, vive et trémoussante, fort bien vêtue d’une cotte jaune et
d’un corps de cotte lacé de même couleur, que poussait de l’intérieur un parpal
si beau, si rond et si remuant que c’était bien malice de l’exposer là si on ne
voulait point qu’on le palpât.
    — Mon joli drôle, dit
l’alberguière en son thoulousain à Miroul, es-tu pas le valet de ces beaux
gentilshommes du Périgord que je vois musant à la fenêtre ?
    — Oui-da ! dit Miroul,
pinçant une corde courtoise de sa viole. Je suis à leur service, et tout
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