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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années
Autoren: Robert Merle
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CHAPITRE PREMIER
    Ha certes ! Si enflammé que je
fusse à galoper en ce mois de juin avec mon gentil frère Samson et notre valet
Miroul par les montées et les dévalades des grands chemins de France, cependant
j’avais, par bouffées, le cœur mordu de laisser si loin derrière moi dans le
Sarladais la baronnie de Mespech. Peu s’en fallait que, chevauchant, ne me vînt
larme à l’œil chaque fois que je me ramentevais le grand nid crénelé où j’avais
éclos et mis mes plumes, protégé des troubles du temps par ses remparts, mais
plus encore par la bravoure de mon père, de l’oncle Sauveterre, de nos soldats,
car notre dicton périgordin dit vrai : Il n’est bons murs que de bons
hommes.
    Mais quoi ! Nos quinze ans
venus, le latin bien enfourné dans nos têtes (où langue d’oc et français déjà
voisinaient), notre valeur au surplus bien prouvée dans le combat de la
Lendrevie, ne fallait-il pas nous tirer enfin du chaud duvet de notre
Barberine, quitter, comme j’aimais à dire, nos maillots et enfances, et puisque
nous avions le malheur d’être cadets (et mon bien-aimé Samson, par surcroît,
bâtard), pousser plus avant nos études, et ainsi que l’avait décidé mon père,
en Montpellier.
    En cette bonne ville, il avait
lui-même étudié en la fleur de son âge. Elle lui était fort chère, et il tenait
que son collège de médecine, où Rabelais avait soutenu ses thèses, passait tous
les autres, Paris compris, par l’audace, la variété, et les nouveautés de son
enseignement, brillant, disait-il, en cette deuxième partie du siècle, d’un
éclat plus vif qu’au siècle précédent, l’école de Salerne.
    Cependant, bien long et périlleux
était le chemin de Sarlat à Montpellier, surtout pour trois huguenots qui
n’avaient point cinquante ans à eux trois, et voyageaient en des temps encore
si troublés, au sortir des guerres où les nôtres et les catholiques s’étaient
si cruellement déchirés. Certes, une sorte de paix régnait maintenant entre les
deux partis, mais grondante et rechignée. Les inquiétudes des nôtres avaient
flambé derechef en 1565, lors de l’Entrevue de Bayonne, où Catherine de
Médicis, s’entretenant en secret avec le Duc d’Albe, s’était, selon la rumeur,
dite prête à troquer le mariage de sa fille Margot et de Don Juan d’Espagne
contre le sang des huguenots français. Mais Philippe II avait en fin de
compte refusé, non sans hauteur, d’allier de nouveau son sang avec le trône de
France. Pis même : l’année suivante, le Roi très catholique, irrité de ce
que des Français nichassent si près de ses possessions des Amériques, et dans
son dépit oubliant tout soudain ses belles évangiles, avait fait massacrer par
surprise nos colons bretons de Floride. Catherine de Médicis en avait conçu un
grand courroux, au point que l’Espagnol avait perdu quelque peu de son crédit à
la Cour de France, et n’osait plus, en son zèle papiste, réclamer si haut
l’assassinat de nos chefs protestants et, pour la masse de nos frères, l’exil
ou le bûcher.
    Ces sanglants projets écartés, à
tout le moins pour un temps, la fortune de France osait à nouveau sourire. La
paix paraissait quelque peu gagner, les plus acharnés papistes parmi les sujets
du Roi perdant cœur à n’être plus soutenus par l’Espagnol, et les catholiques
modérés retrouvant l’espoir de chercher avec les nôtres des accommodements.
Encore fallait-il compter, quand on chevauchait par le royaume, avec les gueux
qui, dans le désordre des guerres civiles, infestaient les forêts, rançonnaient
les carrefours, occupaient les ponts pour y lever péage, et non contents de
larronner, commettaient, l’arme au poing, des excès infinis.
    Certes, exercés aux armes dès notre
âge le plus tendre – la dernière tétée des beaux tétons de Barberine ayant
à peine passé le nœud de notre gorge –, en outre, armés en guerre pour la
circonstance, le morion sur le chef, le corselet défendant la poitrine, le
braquemart nous battant la jambe, la dague pendant à la ceinture, les crosses
de nos pistolets émergeant des fontes de nos selles, et nos arquebuses portées
sur le cheval de bât que menait Miroul par sa longe, nous pensions, Samson et
moi, avoir peu à redouter de ces méchants. Mais Miroul qui, tout jeune qu’il
fût, avait déjà connu les traîtrises des grands chemins, nous répétait, comme
mon père l’avait fait, que le salut n’était point
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