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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident
Autoren: Rocquet
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dans une espèce de communion ; qu’il doit jouer avec son partenaire comme un concertiste avec l’autre concertiste ; qu’il doit chercher à atteindre le texte qu’il a pour tâche de porter, d’interpréter ; ou se laisser atteindre et pénétrer par ce texte. Cuny nous dit le secret, il assume son inconvenance : chercher à s’atteindre soi-même.
    Oui. Mais Cuny eut toujours ce sentiment de ne s’être jamais accompli. Contradiction essentielle. Quel écrivain, quel peintre, quel artiste ne la connaît dans la profondeur de soi ?
     
    La modernité ne se pense pas en dehors du temps, de l’Histoire. Elle est une conséquence de l’idée que nous nous faisons du temps, ou plutôt que l’on a faite pour nous et pour nous y loger, nous y enfermer. Du temps : de l’être. Nous n’espérions plus en l’éternel, mais en l’avenir, perpétuel. Cette dictature du temporel, du chronologique, de l’Histoire et du sens de l’Histoire, s’est imposée dans l’histoire de l’art, même s’il est admis qu’il n’y a pas en art de Progrès, comme il y en a dans la science, voire dans la philosophie. Sur l’art et sur les œuvres d’art dont elle institue l’existence et la légitimité, il va de soi que l’« histoire de l’art » est un regard du dehors, un regard extérieur (et l’un des problèmes qu’elle rencontre consiste à faire leur part respective à l’objectivité, purement
« extérieure », la définition des faits, et à l’interprétation des œuvres, par essence infinie, variable avec le temps et la personne de l’interprète ; problème qui commence avec la définition nécessaire de « l’œuvre d’art » ; qui implique la connaissance de ce dont on prétend ignorer la nature : « cercle herméneutique » !).
    L’histoire de l’art, pour l’artiste, le peintre, est le regard des autres, le regard de l’autre. Il ne lui est pas essentiel. Il ne peut s’y soustraire tout à fait. Il ressent cette pression sur lui, en lui. Il « intériorise » la vision des autres. Il éprouve le souci, l’inquiétude d’être « de son temps » ; de ne pas s’égarer dans des territoires désuets, sur des sentiers battus et rebattus. L’artiste a non seulement besoin du regard d’autrui sur son œuvre, son ouvrage, et même de son approbation, il a besoin de sa reconnaissance  ; et, quand ce ne serait que dans le tréfonds inconscient, il crée sous le regard de l’Histoire, représentée par quelques-uns, souvent médiocres – ombres, fantômes. Il veut plaire, le malheureux! Il ne veut pas déplaire. Il aspire à être aimé.
    Peut-être a-t-il commencé à peindre, dans sa jeunesse, non tant pour tendre à égaler ceux qu’il admire, que – vanité ! – pour trouver chez les uns et les autres, vivants ou à venir, la postérité , une affection qui lui manque. S’il grimace et provoque , s’il tend à faire de lui un objet de haine, de dégoût, de rejet, sans doute est-ce encore parce qu’il est pris dans ce besoin d’être aimé, reconnu, admiré : fût-ce dans l’inversion de tout cela.
    Tout artiste sait ou saura bientôt, pourtant, que l’essentiel est dans le lien avec soi-même, le contact intime avec soi. Dans ce recueillement, cette offrande de soi à ce qui est plus haut et plus profond que soi, il s’agit de se délivrer de la tyrannie du temps,
c’est-à-dire de l’Histoire, de l’histoire de l’art ; et de cette « histoire immédiate » : la critique, le journal.
    Je me souviens d’une page de L’Intuition de l’instant  : Bachelard y médite sur le temps et la poésie. Il dit qu’il faut s’arracher au temps comme il passe ; le temps des saisons, du vieillissement ; s’arracher à toute comparaison avec le temps des autres ; être en retard, être en avance par rapport à autrui, dans le cours de notre vie, cela ne doit pas compter. Alors, si cela est accompli, dur exercice, ascèse, nous connaissons, au centre de nous, le temps du poème, un temps vertical ; non plus horizontal. Alors, dit-il, « le temps ne coule plus, il jaillit ». C’est au cœur jaillissant de ce temps intemporel que vit l’artiste, le poète, le peintre. Sa vie n’a d’autre sens que de parvenir à ce lieu de vie : cette fontaine de jouvence, au cœur du paradis, comme au cœur d’une rose, une « rose sans pourquoi ». Nous sommes alors délivrés du souci de l’Histoire. Le temps que nous vivons n’est plus le temps des
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