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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident
Autoren: Rocquet
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de la modernité » que d’une certaine représentation du temps. L’affirmation du « moderne », avec Baudelaire, se posait en opposition avec l’éternel : ce qui est par essence autre que le temps. Avec l’éternel ou, du moins, avec l’intemporel, le permanent. Au fur et à mesure que, dans le champ de l’art, de la poésie, s’éteignait le sentiment de l’éternel, le sentiment religieux, c’est le moderne, l’actuel, le contemporain, qui a prévalu : mais ce
temps-là porte en lui-même sa limite et son insuffisance: il faut donc consentir à ce qui n’est que disparition continuelle, continuelle destruction et distraction, ou jouer sur l’éphémère, ou sur l’effervescence perpétuelle de la mode, du « goût du jour ». Rien d’étonnant, quand le temps n’est plus que le temps, c’est-à-dire son propre anéantissement, à ce que, dans l’art dit « contemporain », le jeu, la dérision, la mort aient la place qu’ils ont.
     
    Mais comment échapper à la tyrannie de l’actuel ?
    Et si l’éternel, la foi en l’éternel, au transcendant, fait défaut, s’est évanoui, qu’est-ce donc qui peut, sans être une idole, un opium, désormais en tenir lieu pour le peintre, le poète, l’artiste ?
     
    Toujours l’artiste cherche à ne pas répéter ce qui le précède, fût-ce dans l’ouvrage qu’il vient de finir : cet amour et ce besoin de la nouveauté ne se confond pas avec le goût, la drogue de la « modernité ». Toujours l’artiste a intégré dans son œuvre ce que son temps lui offrait de différent des autres temps ; il a toujours été de son temps comme il est contemporain de lui-même, ou se doit de l’être ; mais cela ne se confond pas davantage avec la « modernité ». Et si le « devoir » de modernité disparaît, que reste-t-il alors à l’artiste, au peintre ? Il lui reste à coïncider avec soi-même. C’est ce que fit Hopper et c’est en quoi sa leçon nous est précieuse. Sa leçon ? Je préfère dire : son exemple.
    A-t-il choisi de n’être que lui-même ? Non plus qu’on ne choisit de naître. Cette vie consacrée à devenir ce que l’on est, cette coïncidence avec soi-même, est une autre naissance.

    Descendre en soi-même, peindre, écrire, comme on rêve. Ne recevoir d’ordre que de cet inconnu en nous-même. Ne se soucier que d’être fidèle à cette part en nous qui nous est la plus obscure, la plus intime. Pas d’autre voie, pas d’autre voix. Certes, l’artiste, n’est pas étranger au monde, à son siècle, aux jours qu’il vit ; et, pour l’écrivain, héritier d’une langue, il ne doit pas être moins attentif au génie de cette langue, la sienne et qui le précède, qu’à ce qu’il entreprend de dire ; mais, pour l’essentiel : la liberté du rêve, la solitude du songe. L’insurrection intérieure ; c’est aussi une descente aux abîmes.
    Le paradoxe est que cette unique dévotion à l’intime rencontre presque toujours quelques solitudes, fraternelles. Elles peuvent, avec le temps, devenir nombreuses. Combien de millions de lecteurs pour le très solitaire, l’hermétique, l’obscur Mallarmé? La foule qu’attire l’anachorète l’inscrit dans l’Histoire. Ce qui s’est voulu et tenu étranger à l’Histoire entre dans l’Histoire : la métamorphose, la change. L’Histoire le recueille. Antonin Artaud, Mémorial de Pascal…
    Pour certains artistes, certains poètes, la foi dans l’éternel, ou le sens du divin, demeure et les oriente. Pour d’autres, à cet enracinement dans l’éternel a succédé l’enracinement en soi-même. Pour d’autres, encore, c’est le même enracinement. Qui jugera de la nature de cette solitude, et si elle est nuit ou lumière ? Pas même le solitaire lui-même.
    Il me semble qu’Alain Cuny disait – du moins en substance, au cours d’entretiens – que lorsqu’il était en scène, acteur, il ne jouait pas avec le public, non plus qu’ avec son partenaire. Il ne cherchait qu’à s’atteindre. C’est la raison de cette immense et
profonde vibration, inouïe, que fut son génie, que fut sa présence. Il ne cherchait qu’à s’atteindre, par quelle nuit intime ! Par quel abîme ! Une telle attitude, une telle profession de foi peut surprendre, choquer. Nous avons dans l’esprit, sans y avoir beaucoup pensé, nous tenons pour évident que le comédien, en scène, doit, sinon se soucier beaucoup du public, du moins entrer avec lui
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