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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident
Autoren: Rocquet
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Enraciné dans sa solitude. C’est en cela qu’il est exemplaire.

NOTES
    CHAPITRE 1
    1
    Pour voir dans ce magasin la maison familiale de Hopper, fût-elle changée comme il arrive que le rêve métamorphose des lieux qui nous sont familiers, j’ai suivi l’opinion commune, que Gail Levin ne met pas en cause ; il est vrai qu’elle ne consacre qu’une ligne à cette peinture. Je m’appuie sur une photo du scrapbook de Hopper accessible sur Internet. (Un scrapbook est une collection, un fourre-tout de documents – photos, lettres, papiers officiels, dessins… – consacrés à un sujet ou un thème. La famille Hopper tenait un scrapbook des billets et des programmes de théâtre.) Sur cette photo, la maison familiale, où sont nés Marion et Edward, est entourée d’arbres dont quelques branches touchent peut-être la façade, une fenêtre. Le commerce de mercerie se trouvait à un autre endroit de la ville. Il se pourrait que Hopper ait « condensé » dans Seven A. M. , comme dans un rêve ou délibérément, l’habitation familiale et le magasin : les arbres, la vitrine.
    Joséphine et Edward Hopper ont composé, en quatre grands registres, une sorte de « catalogue raisonné » de l’œuvre. Hopper dessinait le tableau ou la gravure, elle en écrivait la description, le sujet, disait parfois les circonstances de la réalisation. Dans la note qui accompagne Seven A. M. , elle écrit, quant au magasin : «  a “blindpig”, or some such… . » ; «  blind pig  » : « cochon aveugle » ; et l’éditeur de la note parle de «  speak-easy  » : débit de boisson illicite, au temps de la Prohibition. Tant de lumière et de paix, pour un commerce interdit ! Par là s’expliqueraient les
bouteilles à l’étalage. Pourquoi, cependant, l’heure matinale, pourquoi cette heure précise : sept heures ? Il est difficile de croire à une méprise ou à une divagation, perverse, de Joséphine. Elle connaissait Nyack et sa belle-famille. Rien de ce qu’elle écrit dans le registre n’échappe à l’attention et à l’assentiment d’Edward. Comment aurait-il pu changer le commerce de ses honnêtes parents en une boutique trois ou quatre fois immorale: par son apparence mensongère et son déguisement ; par sa denrée : l’alcool ; sa collaboration, sa complicité, avec les gangs ; et par l’infraction, criminelle aux lois des États-Unis ? Un tel renversement serait, là encore, analogue à ceux que produit le travail du rêve. Mais comment l’interpréter ?
    Il y a dans l’œuvre de Hopper, cette fois explicitement, une autre peinture relative à la Prohibition : The Bootleggers . En apparence, il ne s’agit que d’un innocent canot, filant, assez vite il est vrai, sur l’Hudson, passant au large d’une villa, tranquille. Le titre indique le vrai sujet de la peinture : le canot transporte de l’alcool. Les autorités, policières, judiciaires, eurent le sentiment que, sournoisement, le peintre faisait l’apologie du crime (Hopper ne buvait pas). Plus tard, en 1949, au temps de McCarthy, dans Conference at Night (« Conférence de nuit »), on imagina qu’il s’agissait d’un complot communiste. C’est en effet une scène étrange. Trois personnages. Deux hommes, une femme, dans un bureau, et il fait nuit : on ne travaille pas, à cette heure ; d’ailleurs, ils ne travaillent pas. Aucun dossier ouvert. Ils conversent, ils s’entretiennent. Et l’on dirait que la réunion se tient dans un bureau désaffecté, presque un débarras, servant de garde-meubles : on y sera tranquilles. L’un des hommes, un peu chauve, le plus vieux, en bras de chemise, assis sur une table, fait un geste : pour convaincre, expliquer, désigner. C’est tout ce qu’on perçoit de la conversation ; comme si la barrière du vitrage nous permettait de tout voir sans rien entendre, comprendre. La femme, blonde, porte un chignon qui lui donne l’air sévère, dur. Tête nue, est-elle de passage comme celui qui est coiffé d’un chapeau, qu’il porte de façon assez désinvolte, et qui a gardé son manteau ? D’où viennent-ils ? Où s’en iront-ils ? C’est un complot, sans doute.
    Je reviens au blind pig . Sur le sens de cette expression, j’ai consulté un ami, Guynemer Giguère, qui vit aujourd’hui à
Los Angeles après avoir longtemps habité New York : « Mot à mot, blind pig veut dire “cochon aveugle”. L’expression viendrait de l’époque de la
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