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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie
Autoren: Jean Hatzfeld
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les collines. En même temps, elle accepte de parler d’elle-même, avec prudence d’abord, volontiers et régulièrement ensuite. Elle est captivante, ainsi naît le choix des collines de Nyamata.
    Lors d’un deuxième séjour, Sylvie demande à Innocent Rwililiza de prendre le relais, il se montre aussi attentif et compréhensif. Tous deux deviennent des guides et des amis, sans qui toutes ces expéditions sur les collines et ces rencontres avec les rescapés ne sont pas envisageables.
    En de multiples occasions, ils se montrent, aussi, des interprètes d’une inestimable précision. Il faut noter que ces récits s’expriment en trois langues : le kinyarwanda, langue des cultivatrices ; le français rwandais, langue des autres personnes et des traducteurs ; et le français de l’Hexagone. L’attention portée au français rwandais (dont l’appropriation du vocabulaire français est magnifique) pour retranscrire fidèlement certaines descriptions et réflexions induit de rares maladresses linguistiques, trop repérables pour être dommageables.
     
    *
     
    À la sortie de la commune, le chemin débouche à gauche dans le parc de l’ancienne église de la paroisse. Cette église était la seule architecture moderne de la bourgade. Aujourd’hui ses murs béants et sa toiture grêlée portent les marques d’explosions de grenade. À plusieurs reprises la curie du Vatican a projeté sa réhabilitation et sa réouverture aux offices religieux. Mais les habitants de Nyamata ont décidé de la conserver en l’état et d’y ériger l’un des deux mémoriaux de la région ; car ici eut lieu le premier massacre d’une foule de cinq mille personnes, qui lança la chasse à l’homme dans le Bugesera.
    Dans l’enceinte de l’église, des chèvres mâchonnent les feuilles des arbustes du parc. Leur berger est un garçon d’une douzaine d’années. Il est assis à l’ombre d’un arbre, un ballon sous les pieds, une brindille à la main. Il s’appelle Cassius Niyonsaba. Il bavarde aux côtés du gardien du Mémorial. Tous les jours de la semaine, on le retrouve aux abords de l’église, située à mi-chemin entre son école et le domicile de sa tante Thérèse. Parfois il vient taper dans le ballon en compagnie d’un copain ; parfois il est, comme aujourd’hui, entouré de ses chèvres ; parfois seul, assis sur le muret derrière l’église à regarder un caveau. Une profonde cicatrice raye sa chevelure crépue sur toute la longueur du crâne.

Cassius Niyonsaba, 12 ans, écolier Colline de N’tarama
    Papa était un petit enseignant, maman une cultivatrice. Dans ma famille paternelle, c’est moi seul qui suis resté en vie. Dans ma famille maternelle, c’est bien moi seul aussi, qui suis resté en vie. Je ne me souviens plus combien de grands et de petits frères et sœurs j’avais, parce que ma mémoire est trop préoccupée par ce grand nombre de morts, elle n’est plus agile avec les chiffres. Ça me ralentit d’ailleurs à l’école.
    Mais je peux revivre en transparence les massacres à l’église et la férocité des interahamwe. On appelle interahamwe les tueurs hutus. On s’était habitués à les croiser sur le chemin. Ils nous lançaient des menaces bruyantes. On les entendait, on disait que ça n’allait pas, toutefois on n’y croyait pas raisonnablement. Par la suite, après l’accident de l’avion, les avoisinants hutus de ma colline sont venus tuer chaque jour des gens dans leurs quartiers d’origine, sans même attendre les chamailleries ou les disputes ordinaires. Alors, les gens ont compris que ce n’était pas de la blague, ils se sont esquivés vers la forêt ou vers l’église. Moi, j’étais descendu chez ma grande sœur de Nyamata, raison pour laquelle je ne suis pas mort à N’tarama.



 
    Le jour où la tuerie a commencé à Nyamata, dans la rue du grand marché, nous avons couru jusqu’à l’église de la paroisse. Une grande foule s’était déjà assemblée, car c’est dans la coutume rwandaise de se réfugier dans les maisons de Dieu, quand commencent les massacres. Le temps nous a laissé deux jours de tranquillité, puis les militaires et les policiers communaux sont venus faire une ronde de surveillance autour de l’église, ils criaient qu’on allait bien tous être tués. Moi, je me souviens qu’on hésitait à respirer et à parler. Les interahamwe sont arrivés en chantant avant midi, ils ont jeté des grenades, ils ont arraché les
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