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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie
Autoren: Jean Hatzfeld
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gâté le cœur de propagande et de gourmandise.
    Quand je serai grand, je n’irai plus à la messe. Je n’entrerai plus dans une autre église. Je voudrais être enseignant, parce qu’à l’école je profite du réconfort des autres, et parce que papa était enseignant.

Le grand et le petit marchés
    À une centaine de mètres de l’église, se profile la grand-rue de Nyamata, bordée de majestueux umuniyinya, dits « arbres à palabres ». Un panneau en bois illustre une campagne de prévention contre le sida, seul slogan visible en ville. Il marque l’entrée de la place du marché, peuplée de footballeurs tournoyant autour de balles en feuilles de bananier, sauf aux heures caniculaires de la sieste.
    Nyamata vit au rythme de deux marchés, le grand et le petit. Le grand se tient le mercredi et le samedi, où, dès l’aube, les commerçantes disposent leurs marchandises sur des étoffes étalées à terre. Comme partout en Afrique, le marché se distribue par corporations. Dans un coin se regroupent les femmes de pêcheurs, près de leurs poissons enfilés sur des lianes, séchés ou fumés, protégés des mouches par la poussière. Là, les cultivatrices, leurs tas de patates douces, leurs régimes de bananes, leurs sacs de haricots rouges. Plus loin, des empilements de chaussures, à la paire ou à l’unité, neuves ou d’occasion. Les luxueux étalages de coupons de pagnes, de Taïwan ou du Congo, cousinent avec les empilements de tee-shirts et de sous-vêtements.
    Dès le début de la matinée, la cohue laisse peu d’espace de manœuvre aux longilignes brouettes en bois des transporteurs, ou aux porteuses de plateaux d’osier, qui ravitaillent les stocks. Les achats de musique se font un peu à l’écart, dans la rue. L’échoppe se compose d’une radiocassette pour les essais, posée sur un tabouret, et de trois tables couvertes de cassettes de cantiques, d’airs folkloriques des Grand Lacs, de mélancoliques chants d’Annonciata Kamaliza, une célèbre artiste rwandaise, de tubes plus dansants, congolais et sud-africains. La musique du monde est représentée par Céline Dion et Julio Iglesias.
    Le marché est plutôt gai, modeste, pour ne pas dire pauvre, sans bijouteries, sans brocanteurs, sans marchands de sculptures ou de peintures, sans instruments de musique, sans beaucoup de marchandages ni palabres, ni d’esclandres non plus.
    Le petit marché, lui, se tient tous les jours sur un terrain vague bosselé derrière la place. Il est essentiellement alimentaire. Les tas de manioc entourent la cabane de la meunerie. La foire aux chèvres est située près de la bâtisse de l’abattoir, dont le devant sert d’étal de boucherie. Pas loin se trouvent la pharmacie animalière, le cabinet de consultation et le cabaret des vétérinaires communaux. Les marchands de fagots s’associent aux marchands de charbon de bois. On trouve aussi des rechapeurs de semelles de claquettes, des jerricanes d’alcool de banane, des cruches de lait caillé, de la tourbe et du fumier, des empilages de poules ligotées, des pyramides de sucre et de sel, et partout des sacs de haricots.
    La place du marché est entourée de boutiques peintes en vert, orange et bleu, couleurs pâlies par la chaleur et la poussière. La moitié sont closes et se délabrent depuis la guerre. L’autre moitié abrite des salons de coiffure, des cabarets sombres où les hommes sirotent du vin de banane. À Nyamata, il n’y a plus ni kiosques à journaux ni librairie laïque. Pour les photocopies, on va à la librairie religieuse. Près des étalages de tissus, sous les auvents des boutiques, près des salons de photo, des couturières se penchent sur de splendides machines à coudre noir et or, de marque Singer ou Butterfly. Elles raccommodent un pantalon déchiré, taillent une chemise sur mesure, ourlent des tissus de pagnes, le temps d’un aller-retour des clients à l’église, au dispensaire ou à la commune.
    Deux jours par semaine, Jeannette Ayinkamiye descend de la colline de Kanazi pour faire de la couture au marché, parmi une vingtaine de machines, qui cliquettent dans un silence studieux, interrompu de temps à autre par des éclats de rire ou des conseils. Jeannette porte ces jours-là sa robe longue du dimanche à manches bouffantes, mais pas de bijoux ni de tresses ou de mèches, proscrits par son pasteur pentecôtiste.
    Les autres jours de la semaine, sauf le dimanche, elle cultive une parcelle familiale. Elle
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