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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie
Autoren: Jean Hatzfeld
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étonnants récits de rescapés.
    Un génocide est – résumant la définition de l’une d’entre eux – une entreprise inhumaine imaginée par des humains, trop folle et trop méthodique pour être comprise. Le récit des courses dans les marécages de Claudine, d’Odette, de Jean-Baptiste, de Christine et de leurs voisins ; la narration, souvent durement et magnifiquement exprimée, de leurs bivouacs, de leur déchéance, de leur humiliation puis de leur mise à l’écart ; leur appréhension du regard des autres, leurs obsessions, leurs complicités, leurs interrogations sur leurs souvenirs ; leurs réflexions de rescapés, mais aussi d’Africains et de villageois, permettent de s’en approcher au plus près.

De bon matin à Nyamata
    Les grues cendrées, de leur chant de trompette, décrètent les premières la fin de la nuit dans le quartier Gatare. Les criaillements des touracos s’en mêlent aussitôt, et le soleil ne tarde plus guère. Dans la brume matinale apparaissent les vols de cigognes épiscopales et la ronde de pélicans qui planent, indécis, au-dessus des mares. Des chèvres exigent alors de sortir des enclos de feuillage accolés aux maisons. Puis les vaches mettent en marche la nouvelle journée ; elles disparaissent une à une, ou par petits troupeaux, dans la brousse de Kayumba, aiguillonnées par des garçons torse nu sous des vestes trop longues, un long bâton à la main.
    En haut du quartier, les dernières ruelles, bordées d’habitations de terre, s’échelonnent vers un terrain vague qui se prolonge en terrain de football, qui lui-même clôt la grand-rue de Nyamata. Ce terrain, équipé de poteaux de buts en fonte, gondolé à la saison sèche, boueux à la saison des pluies, ne décourage jamais une foule de joueurs de tous âges, qui se relaient toute la journée. Plus bas, sont disséminés les rares pavillons en dur, où résident de nombreux enseignants, magistrats, ou commerçants.
    Édith Uwanyiligira tient là une maison d’hôte, en briques, à l’ombre d’un petit bois de manguiers et de papayers. La grande cour de derrière est envahie du matin au soir par une ribambelle de gamins des environs, venus remplir en file indienne des bidons d’eau au seul robinet d’eau courante des environs, entre la cahute de la cuisine et le cabanon des aides ménagères. Ces enfants se retrouvent dans cette cour à l’heure des repas, alléchés par une marmite ventrue qui mijote du matin au soir, alimentée grâce à des brouettes de légumes ramenés du marché par la maîtresse des lieux.
    De la véranda, on entend, à droite, sur les branches, le chant des tomakos à gros bec et des couroucous vert tilleul. Devant, on voit des masures en torchis, des jardinets plantés de haricots, des fosses profondes où sont fabriqués des moellons de construction, en paille et boue séchée ; on aperçoit des poules, du linge sur les branches et sur les haies.
    Un chemin, bien vite envahi de marcheurs, de cyclistes, d’heureux cyclomotoristes, passe devant le bâtiment jaune de la commune, entouré d’une haute haie fleurie. Dans la cour de la commune, des fonctionnaires en chemise blanche discutent avec des villageois en attente d’un tampon. Sur le parking stationne la camionnette tout-terrain du bourgmestre, le tracteur des ramassages et une multitude de motos monocylindre et de vélos appuyés en grappes contre les avocatiers.
    C’est à la commune que travaille Innocent Rwililiza, et quelques centaines de mètres plus loin que se situe le bureau monacal de Sylvie Umubyeyi.
     
    *
     
    Sylvie Umubyeyi est assistante sociale, de ce fait la première personne avec qui je fais connaissance à Nyamata. Apprenant à Kigali que des enfants rescapés errent en petites familles dans la brousse environnant des marais de la région, je viens la voir et lui demande s’il est envisageable de rencontrer ces enfants. Sceptique ou méfiante, Sylvie ne souhaite pas aider un étranger à entrer en contact aussi directement avec eux. Mais, sur la piste du retour vers Kigali, nous nous croisons à l’entrée du Mémorial, nous échangeons quelques mots et ce hasard semble changer sa décision. D’emblée, sans explication, elle me propose de l’accompagner dans sa camionnette à travers des bananeraies. Elle m’introduit chez Jeannette Ayinkamiye, une cultivatrice adolescente, cheftaine d’enfants abandonnés, avec qui nous discutons une matinée. Sylvie m’emmène plusieurs fois sur
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