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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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les boîtes blanches. «  Parakalo, Papandréou n° 5. LÀ ! » Le type se retourne, impassible, puis me regarde à nouveau. Alors, un énorme
rire soulève l’habitacle. Les badauds dispersés reviennent. Et quand le
kiosquiste me tend mon paquet de cigarettes, la petite troupe est gagnée par
une hilarité tonitruante. « Ah ! Papastratos ! » Le glacier
manque de s’étouffer.
    J’ai confondu Papastratos et Papandréou, le nom du Premier
ministre que des manifestants scandaient la veille dans les rues d’Athènes. Les
voix surchauffées montaient jusqu’au Lycabette où se jouait l' Antigone de Sophocle. Retardée par les embouteillages, troublée, j’étais entrée sur
scène en même temps que le chœur avant de battre piteusement en retraite vers
les gradins. Les acteurs durent lutter toute la soirée contre les slogans s’élevant
de la rue. Depuis la veille, il y avait de l’électricité dans l’air athénien. Mon
« Papandréou » avait localement fait sauter les plombs.

P4
    Je quittai le domicile parental dès que sonnèrent mes vingt
et un ans pour prendre mon envol. Façon de parler. J’habitais un gourbi rue
Vercingétorix et touchais un salaire de misère. Dire que j’ai connu la vache
enragée serait mentir. Il n’y avait pas de vache du tout. Après avoir renouvelé
les délices du boudin-purée qui scandaient nos fins de mois difficiles quand j’étais
enfant (mais il y avait des saisons fastes), j’en fus réduite au purée-purée, puis
purée, puis purée au sens mouise. La chose n’était pas tragique : ma
surcharge pondérale fondait sans grand dommage. D’ailleurs, pour manger, il me
suffisait de descendre la rue jusqu’à la Coupole où il y avait toujours un
copain en fonds qui régalait. Hélas ! j’étais alors si godiche que je
préférais rentrer chez moi plutôt que de traverser toute la salle pour aller
aux toilettes si j’avais envie de faire pipi. C’était manger ou boire.
    Les amis ne sachant pourvoir à tout, il me fallait
multiplier les astuces pour me fournir en objets de première nécessité : piles
de transistor, par exemple. Une cousine ayant prétendu qu’un coup de chaud les
regonflait, j’avais placé mon poste sur le radiateur. Bien sûr, le plastique
fondit. Pour maintenir les piles en place, je devais les coincer avec des
pièces d’un centime en nickel. Soit, pour deux piles, seize centimes, à savoir
le prix des P4 (quatre unités de Parisiennes, la marque de cigarettes la moins
chère) auxquelles j’étais réduite la plupart du temps.
    Un jour, je quittai mon rez-de-chaussée humide pour un
luxueux studio boulevard Arago que m’avait loué une amie contre quelques francs
symboliques. J’étais au cinquième étage de l’immeuble qui donnait sur le jardin
des sœurs visitandines. Les oiseaux me réveillaient à l’aube ; le
jardinier commençait à bêcher. « Psitt. – Ah ! bonjour. Bien dormi ?
– À merveille. Qu’est-ce que vous plantez là ? – Des patates. – Des
patates ! Au prix du terrain, vous devriez cultiver des fraises. – C’est
les sœurs, elles en veulent pour leurs malades. – Mais les malades adoreraient
les fraises. – Vous savez, les sœurs… »
    Je me voyais bien m’occuper d’un carré de fraises pour payer
mes cigarettes. Car je pouvais me passer de nourriture, de piles de transistor,
de vêtements, mais déjà pas de cigarettes. Il m’arrivait de déplacer tous les
meubles, de soulever le sommier, d’écumer les placards pour trouver des sous. Et
j’en trouvais, car c’est fou le nombre de pièces de monnaie qui roulent sous un
lit, derrière les étagères, qui tombent dans les chaussures quand on retourne
son pantalon pour l’accrocher à un cintre-pince. Des sommes folles, propres à
assurer bouffe et bouffées. Parfois la chasse au trésor ne donnait rien. Je
démontais mon transistor pour récupérer mes seize centimes et me traînais chez
la buraliste acheter des P4. Elle restait impavide en toutes circonstances. Un
jour que je grattais mes fonds de poche pour trouver le seizième centime, elle
me dit : « Vous savez, je prends aussi les jetons de téléphone et les
timbres. »
    J’en aurais pleuré. Elle regardait ailleurs pour ne pas me
gêner. Il m’arrive encore de faire des détours considérables pour m’approvisionner
à ce tabac à l’angle du boulevard de Port-Royal et de la rue de la Glacière qui
a pourtant souvent changé de propriétaire. En revanche,
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