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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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In utero
    « Maman, comment c’était la résistance pour toi ?
    — La barbe ! C’est mes histoires. Des histoires d’anciens
combattants. Rien de plus rasoir, surtout pour une petite fille.
    — Ça m’intéresse de savoir.
    — Moi, ça ne m’intéresse pas d’en parler.
    — Pfou !
    — Bon, je résume : pour moi, c’était une période
épatante et terriblement moche.
    — Le moche, c’était quoi ? (Le pire d’abord ;
le mieux ensuite, toujours.)
    — Le moche, c’était la guerre en général. La
disparition de ton père en particulier.
    (Reniflement.)
    —  Si tu pleures, je te mets une claque. Est-ce
que je pleure, moi !
    — Et l’épatant ?
    — J’avais vingt ans et un mari génial. Je passais mon
temps à jouer les saintes nitouches en transportant des tracts, des armes, des
faux papiers, des faux tickets, moi-même avec de faux papiers, de faux tickets,
un vrai parabellum dans mon sac en faux cuir. Surtout, je pouvais enfin dormir
avec deux oreillers, sur un matelas et un sommier – je veux dire sans planche
entre les deux. Je pouvais boire du café et fumer – quand je trouvais du vrai
café et des cigarettes. Tout ce que m’interdisait mon père.
    — Et tu as fait toute la guerre en m’attendant ?
    — Je te rappelle qu’une mère ne porte son enfant que
neuf mois. Remarque, tu t’es accrochée dix jours de plus. Et pourtant, je
courais. J’aurais pu gagner le mille mètres de la femme enceinte, haut la main.
Tu devais être aussi secouée qu’un glaçon dans un shaker. Mais tu t’incrustais.
À croire que les bébés comprennent.
    — Pourquoi je suis née à Pont-de-Vaux ? On n’y a
jamais mis les pieds.
    — C’est compliqué. Mais on a eu de la chance. Il y
avait là un asile de vieillards. Et dans l’asile, un médecin. Quand tu es née, tu
étais jaune comme un coing, les yeux bridés, couverte de poils. Et si petite qu’on
a pu te coucher dans une corbeille à fruits. C’est drôle, quelques mois avant, on
plaisantait avec ton père : “Et comment on va l’habiller, ce pauvre petit
bébé ? – Avec de la bonne grosse laine violette qui gratte, comme tout le
monde”, répondait ton père. “Et qu’est-ce qu’on va lui donner à manger, à ce
pauvre petit bébé ? – De la bonne grosse choucroute garnie, comme tout le
monde. – Et dans quoi il va dormir, ce pauvre petit bébé ? – Dans un bon
gros cageot à légumes, comme tout le monde.” Pour le cageot, il avait presque
tapé dans le mille. Pour la choucroute, ç’aurait été trop beau. Je n’avais pas
de lait. Il n’y en avait nulle part. On t’a donné du lait d’ânesse.
    « Tous les vieux de l’hospice ont défilé comme si tu
étais l’enfant Jésus dans sa crèche. En guise de cadeaux, ils me sortaient des
bouts de sucre de leurs poches dégoûtantes, pleines de mégots. Finalement, je
leur ai demandé un mégot. Ils étaient aux anges de voir la Vierge Marie fumer. »

Sous le cerisier
    Ma mère m’accompagnait et restait quelques jours avec moi en
Haute-Loire où je passais mes petites et grandes vacances avec des cousins-cousines
plus ou moins de mon âge. En tant que fille unique, plus habituée aux adultes, je
préférais leurs parents, voire les cousins et cousines de ma grand-mère. Ce
sont eux, surtout Madeleine, qui m’apprirent à découper les vieux catalogues
des Armes et Cycles de la manufacture de Saint-Étienne quand on s’ennuie, à
roulotter les cheveux arrachés au peigne, à me sécher le dos toute seule en
tenant par les coins opposés une serviette assez rêche pour bien s’étriller, à
trancher le beurre et le fromage à angle net avec des couteaux propres, à faire
glisser dans un couvercle de boîte à chaussures les boules de mercure
récupérées des thermomètres cassés (jeu qui passait alors pour non toxique).
    Tante Madeleine était imposante de calme, de sang-froid, de
tolérance, mais intraitable sur la propreté, le maintien à table et le
tabagisme. Si bien que son mari, oncle Pierre, et maman, les deux seuls fumeurs
de la tablée, devaient aller consumer leur cigarette digestive au fond du
jardin, sous le cerisier. C’est que tante Madeleine, une des rares femmes de sa
génération à avoir entrepris des études de médecine, avait dû y renoncer à
cause de l’odeur méphitique des salles de dissection. Les remugles de formol, les
relents douceâtres des viscères qui s’éveillent avec le réchauffement de
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