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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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« Où ai-je bien pu le
perdre ? », mais : « Où a-t-il bien pu se cacher ? »
L’imagination pendule à la recherche de ces objets fugueurs qui rampent, reptent,
sautent, s’envolent, se terrent, s’enferment, se camouflent : châles
jaunes qui se confondent avec le reps rouge du fauteuil ; chaussure verte
qui s’engloutit dans la moquette grise. Ce qui est drôle, c’est qu’en cherchant
un sac on tombe sur une réserve de cigarettes. Et qu’en cherchant ses
cigarettes on tombe sur le collier perdu il y a des années.
    Ces longues traques aux Gitanes maternelles, si souvent
infructueuses puisque Henriette me coiffait régulièrement au poteau, auraient
pu me détourner pour la vie de cet esclavage, de ces frénésies dont je sentais
qu'elles étaient inhérentes au nicotisme.

Sur le sable
    Je me souviens moins bien de mon premier baiser (boum d’après-midi
pluvieux, jus de fruits et Coca, slow sirupeux dans la pénombre des rideaux
tirés, pâlot au goût de moutarde anglaise) que de ma première cigarette. C’était
au mois de juillet à Erquy. Mon frère Olivier avait cinq ans. Je l’avais
conduit à la plage. Il faisait des pâtés, des jardins d’algues, des calades de
coquillages. Je m’étais adossée à la digue et lisais, ajustant le balconnet de
mon maillot de bain en vichy bleu, tournicotant mes couettes. J’hésitais encore.
Mais je n’avais qu’une heure avant que notre mère descende ; c’était donc
le moment rêvé pour tenter l’expérience. Au pire, j’aurais le temps de m’en
remettre. Je sortis la dernière cigarette du paquet de Gitanes piqué à la maison,
une boîte d’allumettes, et marquai une pause. Car je pressentais bien qu’il y
avait un avant et un après. Je pris mon courage à deux mains. J’allumai ma
cigarette et aspirai. Une quinte de toux me plia aussitôt en deux comme un coup
de poing. Je n’avais pas assez de mes yeux, ma bouche, mon nez, mes oreilles
pour évacuer toute cette fumée. Elle tombait en larmes sur mon maillot. Olivier
se redressa : « Nanou, ça va pas ? – Je me suis étranglée, ne t’inquiète
pas. »
    Je ramassai la cigarette sur le sable et l’inspectai. Elle
avait pourtant l’air si parfaitement ordinaire ! Je tirai une autre
bouffée précautionneuse et la recrachai aussitôt. Ma tête se mit à tourner, une
nausée me saisit. J’avais du mal à accommoder sur Olivier qui, par bonheur, était
retourné à ses constructions. Je déglutis, essayai de me lever et m’échouai à
nouveau. Je plantai la cigarette dans le sable en espérant qu’avec elle
allaient disparaître les symptômes. En vain. Je m’allongeai sur ma serviette. C’était
pire. Je m’adossai à la digue, les membres mous, les yeux lourds, l’estomac au
bord des lèvres. Tout chavirait. Comme sorti d’un mirage, Olivier trottait vers
moi avec son petit seau. Je me recomposai une figure normale. « Nanou, t’es
toute verte. – Certainement pas. – Si, si, t’es toute verte. – Ça va, ne t’inquiète
pas. – J’ai faim. » Haut-le-cœur : « C’est trop tôt. – Non, j’ai
faim maintenant. » Je sortis ses Choco-BN. « T’en veux un, Nanou ? »
Un jet de bile m’envahit la bouche. « Non merci. – Nanou, j’ai soif. – Bonne
idée ! » Je sortis la gourde en fer-blanc et bus. Ça allait mieux.
« Nanou ! Et moi ? – Pardon. » Il ne lui en restait qu’une
petite gorgée, mais il ne dit rien.
    À croupetons, l’air très absorbé, il mit dans son seau l’emballage
des Choco-BN, le paquet de Gitanes vide, un papier de bonbon, une petite pelote
de goudron (déjà), ratissa le sable, exhuma le mégot puis se dirigea vers la
poubelle de plage, près du club Mickey. Je voyais sa maigre silhouette en pain
d’épice sautiller sur le sable, ses cheveux presque blancs à force de soleil
virevolter autour de ses oreilles décollées. Je pense qu’aucune apprentie
fumeuse n’a eu aussi bon compagnon pour traverser pareille épreuve.

D’entre les brunes
    Il fut vite convenu que je ne fumerais jamais en cachette. J’avais
droit à une Gitane, le dimanche, après le déjeuner. Je m’y tenais.
    Autour de moi, tout le monde fumait des Gitanes ou des
Boyards. Sauf le fils d’amis de mes parents abonné aux Gauloises. Il m’en
offrait parfois. Je refusais, la présence maternelle n’y était pour rien. C’était
un vieux d’au moins dix ans de plus que moi, avec la peau grêlée, le front
assez bas mais des petits
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