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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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yeux verts très malicieux. C’est lui qui le premier m’emmena
en boîte. Nous dansâmes sur « Sag warum » avec cœur mais sans
équivoque. Ce fut aussi le premier à m’offrir de vrais bijoux : des
boucles d’oreilles wolofs en or pour mon anniversaire et un énorme bracelet en
ivoire pour Noël. Le premier à m’offrir des fleurs, des pivoines, qui restent
mes fleurs préférées. C’était donc en mai. Ce jour-là, j’acceptai une de ses
Gauloises.
    Je le voyais très saisonnièrement, quand il revenait du
Cameroun où il était forestier. Je doute qu’il s’y soit mal comporté car il
nous racontait des histoires hilarantes où il avait toujours le rôle du niais. Nous
ne pouvions plus avoir un coup de faiblesse sans dire : « Oh patron !
je suis fatigué jusqu’à ma tête rouler-bouler dans le fossé. » C’était
peut-être un néo esclavagiste mais un ami épatant. Je devais bien être un peu
amoureuse de lui puisque je fus jalouse le jour où il avoua qu’il adorait
Petula Clark. Je le traitai de ringard. Je m’en veux encore.
    Sa mère était une Grecque vive et volubile d’Istanbul ;
son père, un Normand taciturne qui faisait de l’import-export avec la Turquie. Il
racontait que, sillonnant le pays en petits zincs, il y avait repéré des
plantations de pavots découpées dans des champs de céréales qu’on ne voyait que
du ciel. Il lisait dans le marc de café mieux que personne et prédit à maman
une grave infection pulmonaire. Sa femme se récria : « Tu es fou, moi
je ne vois rien ! – Tais-toi, Hélène. Faites attention à vous, Ted. »
Ma mère se remit plutôt bien de sa tuberculose.
    Chaque printemps, quand reviennent les pivoines, je pense à ma
première Gauloise et à celui qui me la tendit et qui est mort, depuis longtemps.

Les cigares de Jules-Lemaître
    Nous quittâmes la rue Chanez pour la rue Jules-Lemaître, dans
le XII e . Un quartier sans grâce. Son seul avantage était d’être
desservi par le 29 dont le conducteur s’arrêtait sur le boulevard Soult quand
il me voyait sprinter du bout de la rue. Il empruntait un des parcours les plus
plaisants et les plus embouteillés, au point que les habitués de la plate-forme
pouvaient faire leurs courses auprès des marchands des quatre-saisons de la rue
Rambuteau. En cas de presse, on récupérait sa monnaie le lendemain. Nous étions
aussi quelques-uns à descendre entre deux arrêts pour acheter notre baguette. D’un
vigoureux coup de sonnette, le contrôleur nous permettait de remonter, tout
essoufflés, s’il y avait eu la queue.
    Le week-end s’éternisait plus qu’ailleurs. Je surveillais d’un
œil distrait les voltiges d’Olivier sur « l’échelle à faire peur aux mères »
et l’empêchais de galoper sur le boulevard après son ballon.
    Les dimanches étaient enténébrés par une récente découverte
de mon beau-père : les cigares Campeador, que je m’obstinais à appeler
Campesino à cause de leur remugle d’étable. Certes, un peu d’imagination aurait
suffi à transformer ces puants cigares en illusoire dimanche à la campagne, côté
porcherie. Mais l’opacité même des Campeador nous empêchait de décoller vers l’éther.
    Ces dimanches s’achevaient généralement sur une autre
amertume. Il me fallait acheter une baguette pour le dîner et, presque chaque
fois, ma mère me rappelait à mon devoir juste au moment où retentissait à la
télé le sautillant générique d’une émission de dessins animés annoncée par une
petite vieille dame à ressort tenant son ombrelle. Je revenais au moment du
générique de fin.
    Depuis, j’oublie toujours le pain à table. Mes amis les plus
avisés apportent leur baguette quand ils viennent dîner.

Urbi et orbi
    « Une cigarette par semaine et jamais dans la rue. C’est
vulgaire.
    — Oui, maman.
    — Arrête de dire “mômôn”. J’en prends pour vingt ans à
chaque fois.
    — Oui mô…
    — Tu n’as qu’à m’appeler Ted, comme tout le monde.
    — Oui mômôn.
    — Tu te fous de moi ? »
    En fait, elle n’était pas en colère. En colère, elle se
mettait à parler en alexandrins. Notre hilarité désamorçait – pas toujours, et
alors mieux valait courir aux abris – sa fureur : « Maman, je
voudrais retourner en Angleterre. – Va donc porter tes yeux vers d’autres horizons. »
C’est ainsi qu’après Ramsgate je fus à Brighton.
    « Je récapitule : une cigarette par semaine, jamais
dans la rue,
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