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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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et jamais au coin de la bouche.
    — Mais toi…
    — Moi, c’est moi. Je fume sans arrêt ; il faut
bien que j’aie les mains libres. Quand on fume une fois par semaine, on peut
prendre le temps de garder sa cigarette à la main. Et on ne “tète” pas en creusant
les joues.
    — C’est tout ?
    — Non. N’avale pas la fumée, ça t’évitera de tousser
comme moi.
    — Si on essayait ?
    — D’accord, mais ça vaut pour la cigarette de dimanche
prochain.
    — Ted, tu es sordide !
    — Je ne suis pas sordide, je suis ta mère. »
    Comme toujours quand elle tentait de se prendre au sérieux, ça
tournait à la farce. Elle me montrait avec délectation ce qu’il ne fallait pas
faire quand on était une dame : clope au bec à la Prévert ou à la Malraux
(que nous appelions code-phare à cause de ses tics) ou encore style Arletty. Nous
étions mortes de rire. Il allait de soi qu’il était beaucoup plus drôle de n’être
pas convenable.
    Je pris de l’âge (quelques mois – mais ça compte des siècles
quand on est adolescent), un peu d’assurance. Pas assez encore pour braver ma
mère. Et comme je n’aimais ni tricher ni mentir (moins par vertu que par
paresse), je m’en tenais à notre pacte.
    Puis vint le jour où ma grand-mère m’offrit de partir en
Grèce avec un couple de cousins. Nous devions traverser l’Italie à toute allure
pour prendre un ferry à Brindisi. Notre escale à Rome se résumait à une nuit
dans un hôtel bruyant et un petit-déjeuner trop tardif au comptoir d’un café. Je
m’accordai une cigarette. Cousin-cousine me houspillèrent : « Dépêche-toi
un peu. » Et comme on ne jette pas sa cigarette hebdomadaire, je me
retrouvai fumant dans la rue. La colonne Trajane ne s’affaissa pas sur son
socle. Un bersaglier passa. Je n’en avais jamais vu : une sorte de coq
noir à la place du casque, un sabre nu battant son flanc. Je me retournai. J’avais
tout d’une pute. Une jeune pute en col blanc.
    Il s’écoula néanmoins quelques années avant que je ne
fumasse dans Paris. À Rome, Athènes, et même au Puy-en-Velay, j’étais une
étrangère donc une sorte de sauvage. Engeance parfois sympathique mais toujours
singulière à laquelle il convient de pardonner, comme aux idiots. J’adore
voyager.

Surchauffe
    Athènes tremble sous la fournaise. Dans la cour de notre
hôtel (« La petite maison », en français sur la façade), les feuilles
poussiéreuses s’amollissent sur les orangers au tronc passé à la chaux. Quelques
mouches amorphes se recueillent au bord d’un verre de grenadine abandonné sur
la table de tôle brûlante. Dehors, les cireurs de chaussures ont jeté un
chiffon sur les aveuglantes douilles de cuivre qui ornent leur boîte. Pas un
billet de loterie ne bouge dans les encoches du long bâton que le vendeur tient
comme une houlette. Les rares passants circulent côté ombre. Seul le kiosque à
journaux semble vivre. Il déborde de quotidiens, d’hebdomadaires, de mensuels
du monde entier suspendus à des pinces à linge, de jumelles en plastique, de
présentoirs de cartes postales, de grappes de komboloï en faux ambre, de
tout un bazar qui découpe une minuscule ouverture par où respire le kiosquiste
sur fond de paquets de cigarettes. Je lui tends mon briquet. Il le remplit. Un
filet d’essence me rafraîchit le poignet. J’actionne la molette. Ma main s’embrase.
Je la brandis, comme la torche de la Liberté éclairant le monde, en m’écartant
de la guitoune de papier. Dix personnes sorties du néant se portent à mon secours.
On m’enveloppe le bras d’une veste qui sent l’ouzo, on ramasse mon briquet, on
me tapote gentiment l’épaule, on me sourit. Le bonhomme pendu au téléphone
rouge du kiosque commente l’épisode en direct. Il exulte. Le glacier du coin me
tend un verre d’eau. Ça pourrait durer des heures. Mais je n’ai plus de
cigarettes. Je retourne au trou noir du kiosque et lance gaiement :
«  Parakalo, ena Papandréou n° 5. » Les visages se figent,
les yeux se détournent, les clients se plongent dans la lecture des gros titres.
Désarçonnée, doutant de mon Parakalo et de mon n° 5, je
demande simplement : «  Papandréou. » Le kiosquiste, d’un
air sévère, fait cet énigmatique signe de tête qui semble dire oui et qui signifie
non. Je n’y comprends rien. Les cigarettes sont là, derrière lui. Je m’obstine.
Je crie presque : «  Papandréou ! » Silence. Je
montre du doigt
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