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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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je ne mets jamais les
pieds sans répugnance dans un certain bureau de tabac où Henry Miller se plaint
(dans quel livre ?) qu’on lui refusa un crédit de quelques pièces. Il me
semble qu’une odeur de pingrerie y persiste encore. Quand on n’a pas eu le sou,
on déteste les gens qui mégotent.

Don du sang
    Ces histoires de P4 me rappellent toujours ma grand-mère. Elle
était haute comme trois pommes mais le cœur gros comme une maison. C’est grâce
à elle qu’à chaque congé scolaire j’ai porté des culottes gigantesques en coton
perlé rose, tricotées à la main, achetées à la veuve d’un fermier qui n’aurait
pas aimé qu’on lui fît la charité. Nous faisions, en plus, des kilomètres à
pied pour prendre livraison de ces horreurs dont le fond me tombait aux genoux
dès que je piquais un galop, si bien que je préférais jouer cul nu. Autant dire
que je devais me passer de grimper aux arbres ou de faire le cochon pendu. Je
revenais aux culottes Petit Bateau dès mon retour à Paris, où je n’avais l’occasion
de faire ni l’un ni l’autre.
    Que ma grand-mère se soit privée de bien des plaisirs pour
nous offrir une voiture puis me laisser un joli petit héritage n’est rien par
rapport à ce que je considérais comme le summum de la générosité pour quelqu’un
qui se vantait de n’avoir jamais vu un médecin depuis son accouchement : elle
ne ratait pas une seule campagne de don du sang. Et comme elle sillonnait la
France plus vite que ces camions-labo, elle se faisait véritablement vampiriser.
    C’était l’époque où l’on récompensait les donneurs par un
sandwich et un paquet échantillon de quatre Gitanes. Ma grand-mère n’avait l’usage
ni de l’un ni de l’autre. Le sandwich était presque aussi grand quelle, sa
bouche petite et ses dents fragiles. Elle se débrouillait pour l’offrir aux
gens qui ne venaient là que pour avoir à croûter ou pour lorgner l’infirmière. En
revanche, elle me gardait les cigarettes. Que la faculté offrît à manger et
fumer contre un don de sang prouvait bien que le pâté et le tabac n’étaient pas
si nocifs pour la santé. Ce raisonnement était confirmé par le fait qu’à l’époque
l’armée fournissait des paquets de Troupes aux troupes. Or, son mari et son
fils étaient morts pour la patrie. Mais pas du fait du tabac.
    La plus cuisante humiliation de ma petite grand-mère aura
été de se faire refouler de ces camions collecteurs. Une infirmière jugea qu’une
dame de quatre-vingts ans était hors d’âge. À la décharge de cette perfide
créature, signalons que la donneuse mesurait 1,50 m et pesait 35 kg dans ses
pointes d’obésité. Ce qui ne l’empêchait pas de revenir à pied de ses
contributions à la santé publique. De même que, plus tard, elle revint à pied
de ses séances de radiothérapie. Un exemple que je suivis, le temps venu, au
grand profit de mon moral mais au détriment de mes finances : les malades
sont fréquemment victimes d’achats compensatoires.
    La seule saloperie qu’ait jamais faite ma grand-mère a été
de mourir juste avant son quatre-vingt-dixième anniversaire que nous voulions
fêter fastueusement. Personnellement, je pense que sa longévité tenait moins à
une vie sans addiction qu’à son addiction à la marche à pied et à la bonne
humeur.

L’Orient est rouge, le tabac gris
    Mai 68 a été une rude épreuve pour les fumeurs. Certes, on
trouvait alors sous les pavés la plage, mais même sur le sable – au propre ou
au figuré – les tabagistes fument. Taraudés par le spectre de la pénurie, ils
se conduisirent en stockeurs de guerre. Ce n’est pas tant que les cigarettes
manquaient, c’est qu’elles pouvaient manquer. Les mères de famille
prévoyantes faisaient des provisions de sucre, d’huile, de conserves ; les
banlieusards entassaient des jerricans d’essence ; les fumeurs emmagasinaient
des cartouches de leurs cigarettes préférées.
    Pour faire bonne mesure, j’achetai des réserves de gris. Bien
qu’habile de mes mains, je ne produisais que des cigarettes « à la mal au
ventre », comme disait mon grand-père, virtuose du roulage et de l’encollage
sans bavure auprès duquel j’aurais bien dû faire un stage. Je me couvrais de ridicule,
de brins de tabac, épuisais bêtement ma collection de carnets de papier à
rouler, matière voluptueuse, proche du papier bible (dont le fabriquant disait
à Gaston Gallimard qui se plaignait du prix de
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