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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant
Autoren: Annie François
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tabac, il faut faire quelque chose.
    — C’est peut-être les habits seulement. »
    Nous plongeâmes le nez dans les tiroirs, les armoires. C’en
fut assez pour que maman, Henriette et moi consacrions des heures entières à
confectionner des sachets de lavande dont on fourra les draps et les poches de
vêtements, à planter des clous de girofle dans des oranges qu’on accrocha aux
tringles et à hérisser les radiateurs de zestes de citron.
    Une semaine plus tard, l’heure de vérité sonna :
« Tu devrais aller voir Tantine. » Je me récurai des cheveux aux
orteils, enfilai une robe qu’Henriette venait de repasser. Maman me frictionna
à l’eau de toilette.
    « Entre, ma chérie. Laisse-moi deviner ce que tu sens. Ah !
Yardley ! C’est plutôt un parfum pour homme. Tu trouveras sur la tablette
de la salle de bains un flacon de Jean-Marie Farina. Je te l’offre.
    — Merci, Tantine.
    — La théière est sur le guéridon, tu veux bien me
servir ?
    — Bien sûr. Vous voulez du lé dans votre thé ?
    — On dit du thé au lait. Thé comme fée. Lait comme dais.
    — Dais ?
    — Un baldaquin, si tu préfères. La fée dort sous un
dais : “é” fermé ; “ais” ouvert.
    — J’ai compris. Et pour le thé ?
    — Une goutte de lait. Maintenant, raconte-moi un peu ce
que tu as appris depuis ta dernière visite. »
    Après une heure de répétition, je redescendis.
    « Elle t’a encore fait une réflexion sur le tabac, Tantine ?
    — Non, seulement sur la lavande Yardley. Elle m’a donné
une bouteille de ça.
    — Cette vieille chipie ne manque pas de nez.
    — “La fée sous son dais a le nez sur son thé au lait. Olé !”
    — Qu’est-ce que tu me chantes là ? Va m’acheter un
paquet de Gitanes, s’il te plaît. »

Le laboratoire de chimie
    Une longue pratique des allumettes, des briquets, de l’essence,
des recharges de gaz, des cigarettes allumées m’avait rendue très sensible aux
joies et dangers du feu. Je vérifiais cent fois les cendriers avant de les
vider, scrutais l’intérieur de la poubelle dans le noir pour voir si aucun
brasier ne couvait. Et j’étais devenue une championne du stoppage et du
camouflage. Je n’avais pas mon pareil pour faire une reprise invisible avec un
cheveu, et pour gratouiller subtilement la trace d’un mégot sur le parquet qu’il
fallait ensuite frotter en rond au tampon Jex imbibé de cire. Même dans mon
jeune âge, la chose ignée et ses conséquences n’avaient pas de secret pour moi.
L’enjeu était de taille puisqu’il fallait sauver la mise à ma mère, si bien que
mon beau-père pensait être le seul à faire des trous à son veston ou à esquinter
le plateau de la table.
    Mon sacerdoce se nourrissait de mille expériences empiriques.
Un jour que je désinfectais un bobo à l’alcool à 90°, je lus sur l’étiquette « inflammable ».
Voilà qui m’étonnait : in = privatif (Tantine dixit) ; flammable
= qui flambe ! L’alcool à 90°ne brûlerait pas ? Comme j’étais en âge
de savoir que si les crêpes flambaient, ce n’était pas grâce à Suzette mais au
cognac, je décidai de me livrer à une contre-expertise dans le laboratoire de
la salle de bains. Je versai un fond d’alcool dans le lavabo et, bien penchée
sur la cuvette pour ne rien manquer de l’expérience, je grattai l’allumette.
« Wooooofffff. » Paniquée, je noyai le feu sous des trombes d’eau, mais
l’eau flambait, le feu flottait. Bien que sûre d’incendier les égouts, je tirai
la bonde : le feu mourut dans les ténèbres. Je remis la bonde, craignant
un retour de flamme. Flageolante, cramponnée au lavabo, suffoquée par une odeur
de cochon grillé, je me regardai dans le miroir qui me renvoya une image blême,
sans frange, sans sourcils et sans cils. Seuls quelques petits boulochons
noirâtres et friables soulignaient les zones sinistrées.
    Je filai en catimini chez la mère de mon amie Rénate au
cinquième étage : « Madame, madame, il faut arranger ça ! – Mais
je ne peux rien faire, ma pauvre petite. – Si, si, vous pouvez. Il ne faut pas
que maman voie ça. – Mais elle s’en apercevra, bien sûr. – Non. »
    Elle me ponça les sourcils, me coupa ce qui restait de cils
au ras des paupières et effila une frange délicate au-dessus des vestiges de la
frange disparue.
    Je redescendis. Ma mère n’avait pas bougé de sa chambre. Bien
qu’il n’y ait plus aucune odeur dans la salle de bains, je
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