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Cheyenn

Cheyenn

Titel: Cheyenn
Autoren: François Emmanuel
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trois feuilles de cahier déchirées, noircies d’une écriture ronde et enfantine, soulignée, surlignée, raturée en de nombreux endroits et dont je ne reproduis pas ici les fautes d’orthographe : «… jusqu’où il nous poursuivra, je vous le demande, quand nous laissera-t-il tranquille ? Dites aux inspecteurs qu’ils arrêtent de nous HARCELER, ce n’est pas correct, pas respectueux de nous convoquer puis de nous faire attendre pendant des heures. Je ne sais pas si vous avez affaire à eux, monsieur, je veux bien vous croire, mais pour moi c’est du pareil au même, c’est remuer de la boue, alors que nous ne l’avons plus vu depuis quinze ans, et puis est-ce que c’est de notre faute s’il ne voulait jamais se faire soigner, est-ce qu’on peut faire quelque chose contre ça, je pense encore à notre pauvre mère qui s’en faisait tellement, C’EST DE ÇA QU’ELLE EST MORTE, J’EN SUIS SÛRE, alors je voudrais vous dire, monsieur, c’est bien beau de faire des films mais c’est pas ça qui va aider et quand vous me demandiez l’autre jour pourquoi il était seul, qu’est-ce que je peux bien vous répondre moi, vous ne pouvez pas savoir toute la misère, tous les tracas qu’on a connus depuis qu’on est arrivés ici, faudrait pas encore venir avec vos leçons de morale, CAR C’EST TROP TRISTE DE SAVOIR CE QUI S’EST PASSÉ, c’est une vie trop triste qui s’est achevée, et maintenant on préfère penser qu’il est bien là-bas, qu’il est enfin au repos et qu’il vaut mieux le laisser en paix pour toujours.  » Suivaient deux post-scriptum, rajoutés sans doute après coup, d’une écriture plus régulière. Dans le premier, elle me faisait part du fait que son mari avait finalement accepté de payer pour le cimetière, c’était bien la preuve qu’il n’était pas si mauvais. Dans le second, elle donnait le nom d’une femme, une certaine Maria qui avait bien connu Sam les dernières années. Elle ne connaissait pas l’adresse de cette femme mais le centre social pourrait certainement m’en dire davantage «… parce qu’eux aussi sont venus nous faire la morale il y a sept ou huit ans  ».
    Je dus décliner par deux fois mon identité et l’objet de ma visite pour obtenir un rendez-vous au Centre public d’aide sociale. Je fus reçu par une fausse blonde aux lèvres pincées qui m’écouta d’un air suspicieux. Je lui dis que je venais pour Samuel Montana-Touré assassiné dans un squat le 11 février et qu’à l’occasion du tournage d’un film documentaire cet homme m’avait chargé de remettre un message à une personne qui avait compté pour lui et s’appelait Maria. La mort tragique de cet homme me rappelait à cette tâche, par respect pour sa mémoire je voulais m’en acquitter. La consultante qui devait être assistante sociale ne parut pas me croire un seul instant, elle multiplia les questions sur ma condition de cinéaste, la nature de mon film et la filière qui m’avait mené jusqu’à elle. J’évoquai le nom de Fleur Montana-Touré qu’elle semblait ne pas connaître. Pour en finir et après avoir quitté le bureau pour en référer à son supérieur, elle me donna d’un ton sec les informations suivantes : Samuel Montana-Touré avait bien été suivi par leur service, il était arrivé chez eux dix ans auparavant « dans un état de grande déstructuration », avait été hébergé dans un foyer de la commune puis était reparti pour un logement autonome. Pendant un temps il revenait une fois par mois pour toucher son minimum d’insertion puis il n’était plus revenu. Comme je lui demandais si le dossier mentionnait cette dénommée Maria, l’assistante sociale eut un moment d’hésitation avant de reconnaître d’une voix soudain voilée que l’enquête sociale faisait bien mention d’une personne de proximité mais que celle-ci ne s’était jamais présentée à la convocation. J’insistai pour obtenir l’adresse de cette personne et la professionnelle me fixa de ses yeux brun sombre, affirmant d’abord que c’était contre l’usage, puis se campant derrière ce qu’elle appelait le principe de confidentialité. La partie était tendue, je devinais qu’il y avait un enjeu d’un autre ordre. J’aimerais que vous m’expliquiez, lui dis-je, ce que signifie dans ce cas précis le principe de confidentialité. C’est une question de déontologie, bredouilla-t-elle, puis voyant que je sortais ma caméra de ma sacoche,
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