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Cheyenn

Cheyenn

Titel: Cheyenn
Autoren: François Emmanuel
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aucune famille ? repris-je après un silence. Je ne peux quand même pas vous donner mes rushes à moi, éluda-t-il en souriant, puis il détacha à mi-voix : Montana-Touré n’est pas vraiment un nom répandu dans le pays et nous avons de très bons annuaires… En le quittant, j’eus l’impression d’une lointaine familiarité, l’idée que nous aurions pu prendre un verre ensemble et même devenir amis s’il n’y avait eu cette curieuse et presque fictive partition des rôles qui nous tenait lieu à chacun d’identité sociale. Il était le juge, j’étais le cinéaste, nous nous répartissions des réalités, des manières de voir distinctes, chacune avait ses lois, ses langages, ses protections, ses codes, Cheyenn passait dans la lumière de l’un, dans la pénombre de l’autre, et de l’un à l’autre nous n’avions sans doute rien à nous dire, rien.
    Mis au courant de la projection privée, Alain Nadj voulut absolument me rencontrer. Il se montrait toujours très excité par le film, dévoré par cette noire impatience que j’ai toujours détestée chez lui lorsque, posant mille questions, jetant fébrilement des notes sur le papier, il me fixait soudain de son œil de prédateur et en quelques mots secs, incisifs, cherchait à me faire parler. Je crois qu’il ignorait le caractère dévastateur de son envie de savoir. Tout passionné qu’il se disait, il laissait voir à son insu combien il exécrait cette passion, furieux sans doute de n’être pas un créateur et projetant sur l’autre son mépris de lui-même. À cause du pouvoir qu’il exerçait depuis longtemps, jouissant dans le microcosme des privilèges du prince, il pouvait vivre à loisir ses lubies, ses emportements, n’ayant plus d’autre regard sur le cinéma ou le documentaire que celui d’un « faiseur de coups ». Face à ses interrogations, ses insinuations, ses demandes pressantes, j’ai dressé sans grand résultat un écran protecteur. Il m’a fait observer qu’à ce stade je n’avais pas beaucoup plus de matière que dans mon premier film. La discussion vira à l’aigre. Un homme a été tué, s’exclama-t-il, si ce n’est pas la question du meurtre, quel est le sujet de ce film, qu’est-ce qui t’intéresse à la fin ? Je n’ai pas répondu, j’ai attendu qu’il replonge dans ses papiers et me distille à rage contenue les arguments habituels de délai et d’argent. À ceux-ci j’ai objecté que le tournage était certes plus long que prévu mais que je préférais, pour des raisons de mobilité et de discrétion, continuer seul, avec une caméra légère, sans cadreur ni ingénieur-son. Je savais que cette perspective allait le contrarier parce qu’elle lui ôtait un moyen de pression (mais aussi parce que venant du monde de la publicité il conservait un goût pour les images lisses, léchées, pour ce qu’il appelait la belle ouvrage). Il maugréa que ce n’était pas dans les principes de l’émission puis il retourna à ses papiers. De toute façon, persifla-t-il, tu t’es toujours arrangé pour passer à côté de tes films. Je m’attendais à un accès de goujaterie et je savais qu’il valait mieux laisser passer l’attaque sans réagir, ne rien justifier surtout, ne pas céder à son envie d’en découdre. Alors j’ai ramassé ma colère et je me suis levé sans un mot pour prendre congé.
    Seule recension dans l’annuaire : Fleur Montana-Touré habitait une maison de cité dans un lotissement récent adossé à un terril et situé dans une des nombreuses communes qui composent l’agglomération. J’ai eu tort de sonner à sa porte sans prévenir. Elle vacillait sans voix sur son seuil, épouvantée par l’allusion à celui qui devait être son frère. Pourtant il n’y avait aucune ressemblance entre elle et lui : elle était plutôt petite, de peau noire, avec un faciès négroïde et de grands yeux ourlés de faux cils. Après un temps elle a appelé son mari à la rescousse et la suite de l’entretien s’est déroulée sous la surveillance hostile de cet homme gras en singlet et pantoufles qui s’était campé sans mot dire derrière sa femme dans l’ombre de leur petit hall marbré. Un téléviseur criaillait dans la pièce de séjour et brouillait toute tentative de contact véritable. Je me sentais forcer le ton, elle s’obstinait à ne pas comprendre que je n’étais pas de la police, me répétait sans cesse qu’elle avait déjà tout dit à
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